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UNE AVENTURE EN TUNISIE

Outre un grand nombre de marais que le soleil a desséchés, trois grands sebkha se suivent presque sans interruption de l’est à l’ouest ; ce sont ceux de Melrhir, de Rharsa et de Djerid, ou el Kebir.

Ces trois bassins forment une sorte de mer intérieure dont la moitié ouest se trouve plus basse que les eaux de la Méditerranée pendant la marée, au golfe de Gabès. Les creux des chotts sont aujourd’hui presque tous comblés par les sables ; dans quelques bassins seulement, l’eau remplit le milieu ; elle est assez large et profonde pour que son aspect puisse être comparé, par les écrivains arabes ou par les voyageurs, tantôt à un immense bloc de camphre, tantôt à un gigantesque morceau de cristal, tantôt à une cuve de métal en fusion. Ces aspects sont dus à la croûte de sel plus ou moins épaisse qui recouvre les eaux.

On ne traverse pas sans beaucoup de dangers ces lacs durcis. Malheur à celui qui se détourne d’un seul pas de l’étroit chemin ! La croûte cède, et l’abîme engloutit instantanément sa victime ; puis le glaçon se referme pour murer à tout jamais l’horrible tombe. En temps de pluie, le chott offre un péril particulier : la couche de sable se trouve lavée et chassée en beaucoup d’endroits, et la surface commence à fondre. L’eau des chotts, épaisse et verdâtre, contient en général plus de sel que l’eau de mer.

Jamais on ne parviendra à mesurer exactement l’abîme, car sa profondeur varie suivant les circonstances ; on peut cependant l’évaluer au moins à cinq mètres. Un autre danger de rupture vient de l’accumulation des sables chassés par le simoun. Cette poussière voyageuse atteint quelquefois l’épaisseur de 50 à 80 centimètres ; elle est le produit du travail de plusieurs siècles.

Les plus anciens géographes arabes, tels que Ebn Djobeir, Ebn Batisla, Obeida el Bekri, etc. etc., ont signalé le péril des chotts. Le Djerid seul a déjà englouti des milliers d’hommes et de chameaux, sur lesquels il s’est refermé comme la pierre d’un sépulcre.

En 1826, une caravane, se composant de mille chameaux pesamment chargés, dut traverser ce chott ; un accident arrivé au chameau qui tenait la tête le fît broncher de quelques lignes, les autres le suivirent : tous disparurent dans l’eau visqueuse du