« Sois plus fort une autre fois, repousse les perfides conseils. Veux-tu que je te rende ton sabre, ton poignard et ton fusil ?
— Effendi, tu ne ferais pas cela ? dit-il tout étonné.
— Si, je le ferai. Un cheikh est le plus noble, le plus loyal de sa tribu ; on ne le traite pas comme un houteyeh, ou un chelavych[1].
« Le cheikh Mohammed Emin te rendra l’honneur dû à ton rang. Tu dois l’aborder en homme libre, les armes à la main. »
J’ordonnai qu’on lui remît ses armes. Cet homme sembla hors de lui ; il s’avança vers moi, me regarda avec émotion et me demanda :
« Quel est ton nom, Sidi ?
— Les Haddedîn me nomment Émir Kara ben Nemsi.
— En quel lieu les hommes de ta tribu font-ils paître leurs troupeaux ?
— Bien loin, au couchant ; je suis un Franc.
— Un Franc ?
— Oui, un chrétien !
— Tu appartiens aux Nasara ? Cependant tu portes le turban blanc ; le hamaïl pend à ton cou !
— Je suis chrétien et hadji, car j’ai vu la Mecque.
— Tu es chrétien, Emir ! Ah ! aujourd’hui je sais que les Nasara ne sont pas des chiens, mais qu’ils peuvent quelquefois se montrer plus sages, plus généreux que les musulmans. Tu m’as rendu mes armes, et tout à l’heure, quand tu aurais pu me tuer, tu as pris toutes les précautions pour épargner ma vie. Veux-tu me faire voir ton poignard ? »
Je lui tendis mon arme ; il en éprouva la lame et me dit :
« Cet acier ne vaut rien, je le briserais facilement dans mes doigts. Regarde mon chambiyeh ! »
Il tira un poignard de sa ceinture ; c’était un objet vraiment artistique : la lame affectait une légère courbure ; elle était damasquinée avec un goût exquis. La sentence suivante se lisait des deux côtés en caractères arabes :
- ↑ Classes presque aussi méprisées que celle des parias dans les Indes.