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une bataille au désert


bouche ; nous aurons trois cœurs, trois têtes, et cela ne fera qu’un cœur et qu’une tête ; ce que l’un de nous voudra, tous le voudront. Louons Dieu, qui nous a donné cette heureuse journée ! »

Il me tendit le vase.

« Émir hadji Kara ben Nemsi, ton peuple habite loin d’ici ; cependant prends ta part de ce breuvage, et, quand tu auras fini, donne-le à notre ami Malek. »

Je répondis par un discours accommodé au goût de ces gens ; puis je tendis le gobelet à Malek, qui le remit à Mohammed, lequel nous embrassa en disant :

« A présent tu es mon rafik et je suis ton rafik ; notre amitié sera éternelle, quand même il plairait au Seigneur de séparer nos voies. »

La nouvelle de cette alliance se répandit promptement dans tout le camp, de sorte que petits et grands, pour peu qu’ils se crussent autorisés à le faire, vinrent nous féliciter. Ces formalités nous prirent beaucoup de temps ; il fallait pourtant instruire Malek de notre plan ; je m’en chargeai ; il parut le comprendre et l’approuver.

Il fut convenu qu’on emmènerait quelques vieilles femmes, expertes dans l’art de panser les blessures, pour soigner les guerriers. On donna aussi des ordres afin que Malek et ses gens trouvassent des montures fraîches ; puis dès le matin l’armée se mit en bon ordre, sans confusion, bien pourvue de chefs, chacun sachant à qui obéir, et presque disciplinée comme une troupe européenne. J’étais fier de mon œuvre ; mais il faut avouer que les hommes y avaient mis de l’intelligence et de la bonne volonté.

Aussitôt que le soleil se montra au fond de l’horizon, tous les guerriers se prosternèrent la face contre terre pour la prière du matin.

Ce ne fut pas sans émotion que je vis ces centaines d’hommes, le visage dans la poussière, s’humiliant et invoquant le Créateur de toutes choses, Celui qui pouvait leur donner la victoire ou les rappeler à lui dans quelques heures peut-être. Pourquoi faut-il que le sentiment religieux, si profond chez les peuples simples et primitifs, s’efface au souffle d’une civilisation menteuse, et que nos armées chrétiennes reçoivent ainsi une grande leçon des musulmans ?