« Tu es un hadji, et tu fais ta société des giaours !
— Comment vois-tu que je sois un hadji ?
— À ton hamaïl[1]; je dois t’héberger gratuitement ; quant à l’infidèle, il payera le djyzet (l’impôt sur les étrangers) avant de partir.
— Il ne doit rien payer, ni pour lui ni pour ses gens, car il voyage sous ma protection.
— Il n’a pas besoin de ta protection, il a celle de son consul, qu’Allah maudisse !
— Ce consul est ton ennemi ?
— Oui, il est mon ennemi ; il a obtenu du gouverneur de Mossoul l’arrestation de mon fils, il a excité contre moi les Obeïd, les Abou Hamed et les Djouari, qui me volent maintenant mes troupeaux et cherchent à perdre ma tribu.
— Unis-toi à d’autres tribus et défends-toi.
— Il le faudra bien ; mais le gouverneur a rassemblé une armée pour porter la guerre dans les pâturages, et j’ai peu d’appui. Qu’Allah me protège !
— Mohammed Emin, j’ai entendu dire que les Obeïd, les Abou Hamed et les Djouari sont des brigands. Je ne les aime pas ; je suis l’ami des Chammar, car je les tiens pour les plus braves et les plus nobles d’entre les Arabes ; je souhaite donc que tu triomphes de tes ennemis. »
En disant ces mots, j’exprimais ma pensée plutôt que je ne faisais un compliment banal ; malgré le trait que je venais de citer au vieux chef afin de le rappeler à la politesse, j’avais une certaine estime pour cette tribu, dont les Ateïbeh parlaient avec éloge. Le ton avec lequel je prononçai mon souhait parut impressionner le cheikh.
« Es-tu réellement l’ami des Chammar ? me demanda-t-il.
— Oui, et je déplore la division survenue entre eux, car elle les affaiblit.
— Elle les affaiblit, dis-tu ? Allah est grand et les Chammar sont assez braves pour lutter seuls contre leurs adversaires. Qui donc t’a parlé de nous ?
— Il y a longtemps que j’ai lu votre histoire ; d’ailleurs je viens
- ↑ Étui garni d’or dans lequel se place un exemplaire du Coran, et que les hadji seuls ont le droit de porter suspendu au cou.