Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/237

Cette page n’a pas encore été corrigée
235
une bataille au désert

— Il ne faut jamais se fier aux Arabes, et nous serons mal campés cette nuit.

— Pourquoi cela ? Nous allons nous organiser ; nous avons des armes… »

Il n’y avait pas moyen de le faire revenir sur sa résolution. En deux heures nos tentes furent dressées, nos précautions prises en cas d’attaque. Les chevaux devaient passer la nuit solidement attachés entre les tentes et le rivage. Après un repas confortable, master Lindsay se retira chez lui. Il fut convenu que je me chargerais du premier quart de veille ; les deux domestiques me succéderaient, et l’Anglais nous relèverait en dernier.

La nuit était magnifique : devant nous coulait à grands flots le célèbre fleuve ; derrière nos tentes s’élevaient les hauts sommets du Djebel Djehennem. Un beau ciel étoile et transparent éclairait le paysage d’une demi-lueur pleine de charme. Je contemplais avec émotion cette terre mystérieuse, dont le passé s’était enfui, semblable aux vagues rapides du Tigre. Les noms d’Assyrie, de Chaldée, de Babylonie rappellent les souvenirs de grandes nations, de cités gigantesques ; mais ces souvenirs sont comme ceux d’un rêve évanoui, dont les détails nous échappent.

Perdu que j’étais dans mes réflexions, les heures de ma faction me parurent bien vite écoulées ; j’appelai un des domestiques et lui expliquai ce qu’il aurait à faire. Cet homme se nommait Bill ; c’était un brave Irlandais, d’une force herculéenne, mais d’une intelligence assez bornée. Il sourit d’un air capable en écoutant mes recommandations, et je le laissai à son poste. Je dormais depuis longtemps déjà, lorsque je me sentis saisir par le bras. Lindsay se tenait devant moi, toujours avec son veston à carreaux gris, dont il ne sortait pas, même au désert ; il me disait d’une voix un peu émue :

« Sir…, levez-vous ! »

Je fus bientôt sur pied.

« Qu’y a-t-il ? m’écriai-je.

— Les chevaux ont disparu.

— Comment cela ?… N’avez-vous pas veillé ?

— Si, mais au point du jour j’ai voulu visiter un peu ces ruines là-bas… Lorsque je suis rentré, j’ai trouvé un bout de corde pendant encore aux piquets, mais plus de chevaux. Ils ne se sont pas échappés, ils ont été volés ; mais par qui ?