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UNE AVENTURE EN TUNISIE

désert. Lorsque les pierres furent assez amoncelées pour protéger le corps, j’en ajoutai quelques-unes que je plaçai en forme de croix, et je m’agenouillai pour réciter le De profundis. Aussitôt que j’eus fini, Halef, tourné vers l’Orient, se mit à répéter tout haut les cent douze versets du Coran :

« Au nom du Dieu des miséricordes, je confesse que Dieu est l’unique et éternel Dieu. Il n’est pas engendré, il n’engendre point… Aucun être n’est égal à lui…

« L’homme s’attache à la vie qui passe ; il ne songe pas à celle qui lui est promise…

« Mais voici ton voyage terminé, et maintenant tu vas vers ton Seigneur, qui te ranimera pour une vie nouvelle.

« Puisse le nombre de tes péchés être petit, et celui de tes bonnes actions se multiplier comme celui des grains de sable sur lequel tu reposes au désert…, etc. »

Après ces invocations, Halef se prosterna, puis purifia ses mains dans le sable, car elles étaient souillées par l’attouchement du mort ; enfin il me dit :

« Vois-tu, je suis maintenant tahir, ce que les enfants d’Israël appellent pur ; je puis toucher ce qui est pur et saint. Qu’allons-nous faire ?

— Poursuivre les meurtriers.

— Tu veux donc les tuer ?

— Je ne suis pas le bourreau ; je voudrais seulement les interroger ; je verrai ensuite ce que j’aurai à faire.

— Ces hommes ne doivent point être intelligents, autrement ils se seraient servis du chameau, qui valait mieux que leurs montures. »

Nous nous remîmes en route, hâtant le pas, malgré la chaleur et la difficulté de la marche dans le sable mouvant. Nous gardions d’abord le silence, mais Halef ne pouvait être longtemps sans que la langue lui démangeât.

« Sidi, s’écria-t-il d’une voix plaintive, tu m’abandonnes !

— Je t’abandonne ?

— Oui, ma jument a de vieilles jambes, elle ne peut suivre ton petit cheval. »

Je m’aperçus en me retournant que la pauvre Hassi Ferdajn était, en effet, couverte de sueur, et que de gros flocons d’écume s’échappaient de sa bouche.