nous reconduisirent hors de la ville, où je retrouvai mes fidèles compagnons.
On nous fit monter sur deux chameaux amenés exprès pour nous, et nous reprîmes silencieusement notre chemin.
La fille du cheikh surtout se montrait silencieuse et préoccupée ; ses grands yeux brillaient d’un feu sauvage quand elle les tournait du côté où, derrière la ligne de l’horizon, elle devinait le vaisseau d’Àbou Seïf. À chaque instant je voyais sa main frémissante saisir la poignée d’un de ses coutelas, ou le long tube du fusil couché devant elle en travers de la selle.
Un peu avant d’arriver au camp, Halef rapprocha son chameau du mien et me dit assez bas :
« Sidi, quelle est la coutume de ton pays quand on se marie ? donne-t-on des présents à sa fiancée ?
— Oui, certes ; et chez vous aussi, je pense ?
— Chez nous aussi, mais je ne serai l’époux d’Hanneh que pour quelques jours et seulement en apparence. Je ne sais ce que je dois faire.
— Un présent est une politesse toujours agréable ; à ta place je me montrerais poli.
— Que lui donner ? Je suis pauvre ; d’ailleurs on me prend à l’improviste. Penses-tu que je puisse lui offrir mon adejilik (boîte d’allumettes) ? »
Halef avait acheté au Caire une petite boîte en carton peint, remplie d’allumettes chimiques. Cet objet, qu’on lui avait vendu vingt fois sa valeur ; lui semblait d’un prix infini. Mais la galanterie le poussait à cet héroïque sacrifice.
« Donne-le-lui ! repris-je gravement.
— Bien, je le lui donnerai ; mais quand elle ne sera plus ma femme, elle me le rendra ?
— Non, Halef, cela serait ridicule ; on ne reprend pas un présent.
— Allah est miséricordieux. Tu ne voudrais pas me priver de mon bien. Que faire, Sidi ?
— Puisque tu tiens tant à ta boîte d’allumettes, donne-lui autre chose.
— Que lui donnerai-je ? Je ne puis lui offrir mon turban, ni mon fusil, ni mon fouet du Nil.
— Eh bien ! ne lui donne rien du tout. »