— C’est aussi facile de dire : Ya abana illedsi, etc… (Notre Père qui êtes aux cieux). »
L’Arabe me regarda tout en colère.
« Je sais, dit-il, qu’Isa ben Maryam, que vous appelez Jésus, vous a enseigné cette prière… Tu voudrais me faire embrasser ta foi, mais je ne serai jamais un apostat, un renégat, sache-le bien ! »
Plusieurs fois j’avais tenté de parler de la religion chrétienne à mon pauvre Halef ; mais, convaincu de l’inutilité de mes efforts, je voulus du moins mettre un terme à ses propres prétentions : « Écoute, lui dis-je, puisque tu ne veux pas renoncer à ta foi, laisse-moi la mienne. »
Halef exhala sa mauvaise humeur en grommelant quelque formule pour moi inintelligible ; puis, comme s’il se fût parlé à lui-même, il continua :
« N’importe, je le convertirai, qu’il le veuille ou non… N’a-t-il pas aussi un chapelet au cou !… Je l’ai vu… Ce que j’ai une fois résolu doit s’accomplir ; Je suis le hadji Halef ben hadji Aboul Abbas, ibn hadji Daoud al Gossarah !
— C’est-à-dire que tu es fils d’Aboul Abbas, fils de Daoud al Gossarah, n’est-ce pas, Halef ?
— Oui, Sidi.
— Serais-tu toi-même hadji (pèlerin) ?
— Oui.
— Donc, depuis trois générations vous vous rendez tous à la Mecque ? Tous vous avez vu la sainte Kaaba ?
— Non, Daoud al Gossarah ne l’a pas vue.
— Pourquoi l’appelles-tu hadji, en ce cas ?
— Parce qu’il en fut un ; il demeurait dans le djebel Chour-Choum et entreprit fort jeune le pèlerinage. Il arriva heureusement à el Djouf, qu’on appelle le Ventre du Désert ; mais là il tomba malade et fut obligé de s’arrêter ; il prit une femme du pays et mourut après avoir vu naître son fils Aboul Abbas ; ne peut-on pas le regarder comme un vrai pèlerin ?
— Hum ! Enfin Aboul Abbas est allé à la Mecque, lui ?
— Non…
— Donc il n’est pas hadji ?
— Si, car il entreprit le voyage et alla jusqu’à la plaine d’Admar ; seulement il n’avança pas plus loin.