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les pirates de la mer rouge


orages et retentissant encore des éclats de ce tonnerre au milieu duquel Dieu disait à son peuple :

« Je suis le Seigneur ton Dieu, tu n’auras pas de dieux étrangers devant moi ! »

Ce n’étaient ni l’aspect des lieux ni leur poésie qui m’impressionnaient le plus en cet instant, c’était un sentiment supérieur, indéfinissable, dont je n’aurais pu me défendre quand même je l’eusse essayé. Combien de fois avais-je écouté, tout palpitant d’émotion, ces grands récits de la Bible, sur les genoux de ma bonne, pieuse et chère aïeule ! Combien souvent m’avait-elle raconté la création du monde, la chute de nos premiers parents, le meurtre d’Abel, la punition de Sodome et de Gomorrhe, la promulgation de la loi sur le mont Sinaï !…

Ah ! je m’en souvenais ! Elle me faisait joindre mes petites mains pour que j’écoutasse avec plus de respect ces grandes leçons du devoir ; elle me faisait répéter avec elle cet enseignement de la vie.

Il y a longtemps que la dépouille mortelle de cette vénérable femme repose dans la terre de ma patrie, et moi je me trouvais seul, sur ce sol béni et sacré qu’elle m’avait dépeint avec de si vives couleurs, quoiqu’il n’eût jamais été donné à ses yeux de le contempler.

La foi porte en elle-même une conviction, une claire vue autrement fortes que les plus superbes affirmations du rationalisme. Je le sentais en ce moment, et j’aurais prolongé volontiers mes réflexions, le regard perdu dans l’horizon de la terre sainte, si mon serviteur, mon fidèle petit Halef, ne m’avait distrait par ses exclamations :

« Loué soit Allah ! le désert est passé, Sidi, voilà de l’eau ; descends de ta bête, prends un bain, comme je vais le faire moi-même. »

Là-dessus, les Bédouins qui nous guidaient se rapprochèrent de nous, et l’un d’eux, faisant signe de la main, s’écria :

« Garde-t’en bien, Effendi !

— Pourquoi ?

— Parce que Mélek el Mevt (l’ange de la mort) habite en ce lieu. Celui qui touche cette eau périt noyé, ou rapporte avec lui le germe de la mort. Chaque goutte de cette mer est une larme versée par les cent mille âmes englouties dans ces flots, parce