Djérid !… ce brigand qui s’est enfui de Kbilli ! Mais non pourtant, l’époque ne se rapporterait pas… Sais-tu si ce Baroud el Amasa a un frère ?
— Je l’ignore, Sénitza ne m’en a pas parlé, quoiqu’elle m’ait donné beaucoup de détails sur cette famille. »
En ce moment, Hamsad, l’ex-barbier prussien, accourut vers nous.
« Monsieur l’Effendim, j’ai quelque chose à vous dire.
— Parle.
— Comment s’appelle ce mauvais sujet d’Égyptien ?
— Abrahim Mamour.
— Il a été gouverneur ? C’est bien cela ! Sachez donc que je le connais comme ma poche.
— Vraiment ? raconte-nous cette histoire.
— Je le connais parce que c’est à lui que j’ai vu donner la bastonnade pour la première fois dans ces pays, et je vous assure que je n’ai point oublié sa figure, ni même son nom.
— Comment se faisait-il appeler ?
— Daoud Arafim ; il était attaché à l’ambassade de Perse ; il avait trahi je ne sais quel secret… »
Ce fut un trait de lumière ; moi aussi, je me souvins des circonstances dans lesquelles j’avais rencontré cet homme : c’était à Ispahan ; on l’avait lié sur un chameau, on l’envoyait prisonnier à Constantinople. Je fis un bout de chemin avec la caravane qui l’emmenait, et j’eus occasion de lui parler. Ces souvenirs étaient parfaitement élucidés.
« Merci de ta communication, dis-je à notre Allemand ; mais garde ton secret pour toi en ce moment, n’est-ce pas ? »
Je me sentais délivré de tout souci sur la plainte qu’Abrahim prétendait formuler contre nous.
Sans pouvoir très bien concilier les choses, il me semblait que je retrouverais le fil des relations de cet homme avec mon Arménien. Comment Abrahim, après avoir été dégradé, pouvait-il jouer du grand personnage ? Comment s’était-il enrichi de la sorte ? Ces rapprochements me déroutaient, mais je me promettais de chercher. Je résolus de ne pas ouvrir la bouche sur tout cela, ni devant mes compagnons, ni à Mamour, que je voulais laisser s’enferrer dans son accusation contre nous.