Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
Essais de sociologie

concernant l’État sont beaucoup moins précises que dans nos sociétés à nous. L’État — qui est fortement différencié de la vie générale de la société, chez nous —, dans les sociétés archaïques, au contraire, ne constitue guère que l’ensemble des phénomènes généraux qu’en réalité il concrétise : cohésion, autorité, tradition, éducation, etc. Il est encore presque un fait de morale et de mentalité diffuses. Il est tout à fait inexact, dans cette partie de l’observation, dans ces sociétés-là, d’appliquer les principes généraux de notre droit public, de distinguer l’exécutif et le législatif, l’exécutif et l’administratif, etc. Mais encore une fois nous manquons de courage. Nous nous trouvons en présence d’une science toute constituée : l’histoire, la théorie, et même la philosophie du droit public. Donc, avec Durkheim, ayant nous-mêmes, peut-être avec d’assez grosses chances d’erreur, tous, classé l’État parmi les phénomènes juridiques, nous continuons à persister dans cette vue un peu partielle des choses et à réserver l’étude de l’organisation politique et de son fonctionnement à la description du droit des sociétés étudiées.


3. La troisième science constituée qui s’est chargée tout spécialement du troisième phénomène général, le langage, c’est la linguistique. Voici pourquoi nous ne prétendons pas l’insérer ici. Elle a fait des langues et du langage, et même, au-delà de ceux-ci, de toute une partie de la séméiologie, c’est-à-dire de la symbolistique, son domaine privé. Aucune intransigeance logique ne peut nous faire oublier la qualité spéciale des connaissances linguistiques actuelles. Parmi les sciences de l’homme, la linguistique est peut-être la plus sûre. Grâce à elle, et en lui-même, le langage est le seul phénomène humain dont nous sommes sûrs ; nous pensons le connaître, et nous le connaissons relativement dans toutes ses parties à la fois : d’abord par expérience interne et personnelle et par communication externe entre personnes se comprenant et devenant ainsi relativement homogènes ; puis nous saisissons en un instant, par cette expérience — et à plus forte raison par cette science — les trois aspects du langage : physiologique, psychologique et sociologique. Et quand ces trois aspects ont été analysés, à part et solidairement, par les diverses parties de la linguistique, phonétique, morphologie, syntaxe et sémantique, ils l’ont été de façon si satisfaisante qu’il n’y a pas lieu — provisoirement — de séparer la partie sociolo-