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Division concrète de la sociologie
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Le principal but sera ainsi atteint le jour où, séparée d’elle, mais inspirée d’elle, une politique positive pourra venir en application d’une sociologie complète et concrète. Si elle ne donne pas les solutions pratiques, elle donnera du moins le sens de l’action rationnelle. L’instruction, l’information, l’entraînement sociologiques donneront aux générations qui montent le sentiment de la délicatesse des procédés de la politique. Ceux-ci, inconsciemment usités en ce moment, pourront être portés au degré de conscience voulue quand une, deux générations de savants auront analysé les mécanismes des sociétés vivantes, celles qui nous intéressent pratiquement. Les hommes politiques et les hommes d’action, ne se borneront plus à des choix instinctifs. Sans attendre une théorie trop poussée, ils sauront consciemment balancer les intérêts et les droits, le passé et le futur. Ils sauront de façon constante estimer ce milieu interne qu’est la société, ces milieux secondaires que forment les générations, les sexes et les sous-groupes sociaux. Ils sauront peser les forces que sont les idées et les idéaux, les courants et les traditions. Ils sauront enfin ne pas méconnaître les milieux externes où se meuvent les intérêts qu’ils administrent : les autres sociétés qui peuvent les contrarier ; le sol dont il faut administrer les réserves en vue des générations futures. Voilà, sans utopie, mais sans confusion avec la science, un programme de politique positive.

On trouvera peut-être ce programme bien petit. Ces conclusions sont peut-être décevantes pour l’homme politique, ou même pour le social worker, pour le zélateur du « service social », pour les auteurs de civics, qui viennent en ce moment s’ajouter généreusement et sans doute efficacement à eux. Mais, une fois le branle donné, il est possible que d’autres effets suivent. Bien des problèmes dont on cherche la solution de front, sont mal posés ; d’autres bien posés sont mal traités. La part de l’éducation n’est faite par personne et pourtant elle est peut-être la plus importante de toutes. Le rôle des partis est grandement exagéré par les historiens, par la presse et par l’opinion ; la prépondérance des intérêts, surtout de ceux des sous-groupes, économiques en particulier, est vraiment trop grande en ce moment. Au contraire, la part de la morale, spécialement de celle des sous-groupes, par exemple du groupe professionnel, est sous-estimée. Voilà bien des problèmes, des problèmes essentiels que posent les sociologues, mais que ne se posent même pas encore le public, le Par-