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Essais de sociologie

moitiés exogames, plus exactement en deux clans exogames primaires, ou phratries, et en clans dans ces phratries, et en familles ; et, d’autre part, on voit déjà poindre çà et là des noyaux de ce qui sera un jour la corporation religieuse et déjà de ce qui est la corporation magique ; on voit des sortes de chefferie civile, des ateliers avec leurs techniciens, des bardes — nous ne faisons allusion ici qu’à ce que l’on constate dans les sociétés australiennes, les plus primitives de celles que nous connaissons, mais infiniment moins simples qu’on n’a l’habitude de nous les représenter. Aussi l’on peut poser la règle suivante : toute activité sociale qui, dans une société, s’est créée une structure et à laquelle un groupe d’hommes s’est spécialement adonné, correspond sûrement à une nécessité de la vie de cette société. Celle-ci ne conférerait pas la vie et l’existence à cet « être moral » ou, comme on dit en droit anglais, à cette « corporation », si ce groupe, même temporaire, ne répondait pas à ses attentes et à ses besoins.

Il n’est pas absolument forcé que ces structures soient permanentes ; elles peuvent ne durer qu’un temps, et réapparaître plus tard, souvent suivant un rythme. Surtout dans les sociétés qui ont précédé les nôtres ou qui les entourent encore (j’entends toutes celles qui n’appartiennent pas à l’Asie et à l’Europe et à la branche hamitique de l’Afrique du Nord), les hommes peuvent s’organiser ainsi, sans se répartir perpétuellement en groupes fonctionnellement différents. Par exemple dans nombre de sociétés anciennes ou même contemporaines, à certains moments de la vie publique, les citoyens se sont répartis en classes d’âge, en confréries religieuses, en sociétés secrètes, en troupes militaires, en hiérarchies politiques. Toutes ces organisations sont différentes des phratries, clans et familles qui pourtant subsistent. Elles se confondent souvent avec ces derniers et souvent entre elles. C’est que ce sont ces groupements qui, en somme, sont chargés de telle ou telle fonction. Ou plutôt celle-ci n’est que la vie de ce groupement. Et celui-ci est soutenu, autorisé, doué d’autorité au fond, par la société tout entière. Elle abdique en lui, lui délègue sa force par rapport à tel ou tel but. Ainsi dans les sociétés nigritiennes proprement dites comme dans beaucoup de mélanésiennes, la justice est souvent l’œuvre de sociétés secrètes.

L’étude de ces groupements occasionnels, permanents ou temporaires est nécessaire, par-delà l’étude exclusive des repré-