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de chaque groupe, petit ou grand. Ils recherchent ce qui sépare, ce qui singularise, et tendent à retracer ce qu’il y a en quelque sorte d’ineffable dans chaque civilisation ; par exemple, on croit généralement que l’étude de la religion védique est réservée aux seuls sanscritisants. Le sociologue, au contraire, s’attache à retrouver dans les faits sociaux ce qui est général en même temps que ce qui est caractéristique. Pour lui, une observation bien conduite doit donner un résidu défini, une expression suffisamment adéquate du fait observé. Pour se servir d’un fait social déterminé, la connaissance intégrale d’une histoire, d’une langue, d’une civilisation n’est pas nécessaire. La connaissance relative, mais exacte, de ce fait suffit pour qu’il puisse et doive entrer dans le système que la sociologie veut édifier. Aussi bien, si, dans de nombreux cas, il est encore indispensable pour le sociologue de remonter aux sources dernières, la faute n’en est-elle pas aux faits, mais aux historiens, qui n’ont pas su en faire la véritable analyse. La sociologie demande des observations sûres, impersonnelles, utilisables pour quiconque étudiera des faits du même ordre. Le détail et l’alentour de tous les faits sont infinis, jamais personne ne pourra les épuiser ; l’histoire pure ne cessera jamais de décrire, de nuancer, de circonstanciée Au contraire, une observation sociologique faite avec soin, un fait bien étudié, analysé dans son intégrité, perd presque toute date, tout comme une observation de médecin, une expérience extraordinaire de laboratoire. Le fait social, scientifiquement décrit, devient un élément de science, et cesse d’appartenir en propre à tel ou tel pays, à telle ou telle époque. Il est pour ainsi dire placé, par la force de l’observation scientifique, hors du temps et hors de l’espace.


Systématisation des faits

Pas plus qu’aucune science, la sociologie ne spécule sur de pures idées et ne se borne à enregistrer les faits. Elle tend à en donner un système rationnel. Elle cherche à déterminer leurs rapports de manière à les rendre intelligibles. Il nous reste à dire par quels procédés ces rapports peuvent être déterminés. Quelquefois, assez rarement d’ailleurs, on les trouve pour ainsi dire tout établis. Il existe, en effet, en sociologie comme en toute science, des faits tellement typiques qu’il suffit de les bien analyser