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scientifique de premier ordre. Une fois posées, elles obligent et lient le sociologue. Elles éclairent toutes ses démarches, elles permettent la critique et la discussion efficaces. Car, grâce à elles, tout un ensemble de faits bien désignés s’impose à l’étude, et l’explication doit tenir compte de tous. On écarte ainsi toutes ces argumentations capricieuses où l’auteur passe, à son gré, d’un sujet à un autre, emprunte ses preuves aux catégories de faits les plus hétérogènes. De plus, on évite une faute que commettent encore les meilleurs travaux de sociologie, par exemple celui de Frazer sur le totémisme. Cette faute, c’est de n’avoir rassemblé que les faits favorables à la thèse et de n’avoir pas suffisamment recherché les faits contraires. On ne se préoccupe pas assez, en général, d’intégrer dans une théorie tous les faits ; on ne rassemble que ceux qui se superposent exactement. Or, avec de bonnes définitions initiales, tous les faits sociaux d’un même ordre se présentent et s’imposent à l’observateur, et on est tenu de rendre compte, non seulement des concordances, mais encore des différences.


Observation des faits

Ainsi que nous l’avons vu, la définition suppose une première revue générale des faits, une sorte d’observation provisoire. Il nous faut parler maintenant de l’observation méthodique, c’est-à-dire de celle qui établit chacun des faits énoncés. L’observation des phénomènes sociaux n’est pas, comme on pourrait le croire à première vue, un pur procédé narratif. La sociologie doit faire plus que de décrire les faits, elle doit, en réalité, les constituer. D’abord, pas plus en sociologie qu’en aucune autre science, il n’existe de faits bruts que l’on pourrait, pour ainsi dire, photographier. Toute observation scientifique porte sur des phénomènes méthodiquement choisis et isolés des autres, c’est-à-dire abstraits. Les phénomènes sociaux, plus que tous autres, ne peuvent être étudiés en une fois dans tous leurs détails, tous leurs rapports. Ils sont trop complexes pour qu’on ne procède pas par abstractions et par divisions successives des difficultés. Mais l’observation sociologique, si elle abstrait les faits, n’en est pas moins scrupuleuse, et soucieuse de les établir exactement. Or les faits sociaux sont fort difficiles à atteindre, à démêler à travers les documents. Il est encore plus délicat de