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aucun degré le reproche de matérialiste qui lui a été quelque fois adressé. D’abord elle est indépendante de toute métaphysique, matérialiste ou autre. De plus, en fait, elle assigne un rôle prépondérant à l’élément psychique de la vie sociale, croyances et sentiments collectifs. Mais d’un autre côté, elle échappe aux défauts de l’idéologie. Car les représentations collectives ne doivent pas être conçues comme se développant d’elles-mêmes, en vertu d’une sorte de dialectique interne qui les obligerait à s’épurer de plus en plus, à se rapprocher d’un idéal de raison. Si la famille, le droit pénal ont changé, ce n’est pas par suite des progrès rationnels d’une pensée qui, peu à peu, rectifierait spontanément ses erreurs primitives. Les opinions, les sentiments de la collectivité ne changent que si les états sociaux dont ils dépendent ont également changé. Ainsi ce n’est pas expliquer une transformation sociale quelconque, par exemple le passage du polythéisme au monothéisme, que de faire voir qu’elle constitue un progrès, qu’elle est plus vraie ou plus morale, car la question est précisément de savoir ce qui a déterminé la religion à devenir ainsi plus vraie ou plus morale, c’est-à-dire en réalité à devenir ce qu’elle est devenue. Les phénomènes sociaux ne sont pas plus automoteurs que les autres phénomènes de la nature. La cause d’un fait social doit toujours être cherchée en dehors de ce fait. C’est dire que le sociologue n’a pas pour objet de trouver nous ne savons quelle loi de progrès, d’évolution générale qui dominerait le passé et prédéterminerait l’avenir. Il n’y a pas une loi unique, universelle des phénomènes sociaux. Il y a une multitude de lois d’inégale généralité. Expliquer, en sociologie, comme en toute science, c’est donc découvrir des lois plus ou moins fragmentaires, c’est-à-dire lier des faits définis suivant des rapports définis.


II. MÉTHODE DE LA SOCIOLOGIE

Les essais sur la méthode de la sociologie abondent dans la littérature sociologique. En général, ils sont mêlés de toutes sortes de considérations philosophiques sur la société, l’État, etc. Les premiers ouvrages où la méthode de la sociologie ait été étudiée d’une façon appropriée sont ceux de Comte et de Stuart Mill. Mais quelle que soit leur importance, les observations