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faits sociaux se sont produits, quelles sont les forces dont ils résultent. Elle doit donc expliquer des faits définis par leurs causes déterminantes, prochaines et immédiates, capables de les produire. Par suite elle ne se contente pas, comme font certains sociologues, d’indiquer des causes très générales et très lointaines, en tous cas insuffisantes et sans rapport direct avec les faits. Puisque les faits sociaux sont spécifiques, ils ne peuvent s’expliquer que par des causes de même nature qu’eux-mêmes. L’explication sociologique procède donc en allant d’un phénomène social à un autre. Elle n’établit de rapport qu’entre phénomènes sociaux. Ainsi elle nous montrera comment les institutions s’engendrent les unes les autres ; par exemple, comment le culte des ancêtres s’est développé sur le fonds des rites funéraires. D’autres fois elle apercevra de véritables coalescences de phénomènes sociaux : par exemple la notion si répandue du sacrifice du Dieu est expliquée par une sorte de fusion qui s’est opérée entre certains rites sacrificiels et certaines notions mythiques. Quelquefois ce sont des faits de structure sociale qui s’enchaînent les uns les autres ; par exemple, on peut rattacher la formation des villes aux mouvements migratoires plus ou moins étendus de villages à villes, de districts ruraux à ditricts industriels, aux mouvements de colonisation, à l’état des communications, etc. Ou bien c’est par la structure des sociétés d’un type déterminé qu’on rend compte de certaines institutions déterminées, par exemple l’arrangement en villes produit certaines formes de la propriété, du culte, etc.

Mais comment les faits sociaux se produisent-ils ainsi les uns les autres ? Quand nous disons que des institutions produisent des institutions par voie de développement, de coalescence, etc., ce n’est pas que nous les concevons comme des sortes de réalités autonomes capables d’avoir par elles-mêmes une efficacité mystérieuse d’un genre particulier. De même quand nous rattachons à la forme des groupes telle ou telle pratique sociale, ce n’est pas que nous considérons comme possible que la répartition géographique des individus affecte la vie sociale directement et sans intermédiaire. Les institutions n’existent que dans les représentations que s’en fait la société. Toute leur force vive leur vient des sentiments dont elles sont l’objet ; si elles sont fortes et respectées, c’est que ces sentiments sont vivaces ; si elles cèdent, c’est qu’elles ont perdu toute autorité auprès des consciences.