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À cette méthode étroitement historique d’explication des faits sociaux, il faut d’abord opposer les enseignements dus à la méthode comparative : dès maintenant l’histoire comparée des religions, des droits et des mœurs a révélé l’existence d’institutions incontestablement identiques chez les peuples les plus différents ; à ces concordances, il est inconcevable qu’on puisse assigner pour cause l’imitation d’une société par les autres, et il est cependant impossible de les considérer comme fortuites : des institutions semblables ne peuvent évidemment avoir dans telle peuplade sauvage des causes locales et accidentelles, et dans telle société civilisée d’autres causes également locales et accidentelles. D’autre part, les institutions dont il s’agit ne sont pas seulement des pratiques très générales qu’on pourrait prétendre inventées naturellement par des hommes dans des circonstances identiques ; ce ne sont pas seulement des mythes importants comme celui du déluge, des rites comme celui du sacrifice, des organisations domestiques comme la famille maternelle, des pratiques juridiques comme la vengeance du sang ; ce sont encore des légendes très complexes, des superstitions, des usages tout à fait particuliers, des pratiques aussi étranges que celles de la couvade ou du lévirat. Dès qu’on a constaté ces similitudes, il devient inadmissible d’expliquer les phénomènes comparables par des causes particulières à une société et à une époque ; l’esprit se refuse à considérer comme fortuites la régularité et la similitude.

Il est vrai que l’histoire, si elle ne montre pas pour quelles raisons des institutions analogues existent dans ses civilisations apparentes, prétend quelquefois expliquer les faits en les enchaînant chronologiquement les uns aux autres, en décrivant par le détail les circonstances dans lesquelles s’est produit un événement historique. Mais ces relations de pure succession n’ont rien de nécessaire ni d’intelligible. Car c’est d’une façon tout à fait arbitraire, nullement méthodique, et par conséquent tout à fait irrationnelle que les historiens assignent à un événement un autre événement qu’ils appellent sa cause. En effet, les procédés inductifs ne sont applicables que là où une comparaison est facile. Du moment qu’ils prétendent expliquer un fait unique par un autre fait unique, qu’ils n’admettent pas qu’il y ait entre les faits des liens nécessaires et constants, les historiens ne peuvent apercevoir des causes que par une intuition immédiate, opération