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Essais de sociologie

des Vosges. J’ai vu des gestes figés par l’instrument ou par l’habitude nous empêcher de nous servir de bêches anglaises et allemandes à poignées et, inversement, empêcher les Anglais d’utiliser nos longs manches de pelle. Il faut lire dans Sseu-Ma-Tsien, l’histoire des débats de la Cour de Chine sur l’art de monter à cheval, des Huns, et comment on finit par l’admettre. Etc.

On voit ainsi comment se circonscrivent les civilisations, par la capacité d’emprunt et d’expansion, mais aussi par les résistances des sociétés qui les composent.


Voilà comment un sociologue conçoit, surtout à partir des études déjà vieilles d’histoire et de préhistoire et de comparaison historique des civilisations, l’histoire de la civilisation en général, et celle des peuples qui relèvent de l’ethnologie en particulier.

Cette conception ne date pas chez nous des attaques injustes et absurdes des ethnologues. Je ne parlerai que de celui qui fut mon frère de travail. Henri Hubert préparait une « Ethnographie préhistorique de l’Europe ». Il a toujours été un spécialiste de ces questions. Dans le livre que nous publierons sur les Celtes (Évolution de l’humanité) il identifie leur civilisation avec celle de la Tène. Que l’on aille voir son chef-d’œuvre, la « Salle de Mars », qui sera bientôt ouverte au musée de Saint-Germain. On y trouvera l’histoire à la fois chronologique, logique et géographique de tout le néolithique et du début des métaux. On y trouvera un essai de solution unique des trois problèmes, posés tous et simultanément comme ils doivent l’être.


III. SENS ORDINAIRES DU MOT CIVILISATION

À partir de cet exposé technique, didactique, nous sommes à l’aise pour rejoindre les sens vulgaires que l’on a donnés au mot civilisation.

Dans un très grand nombre de cas, on a le droit d’étendre un peu son acception sans grande faute scientifique. On dit correctement « civilisation française », entendant par là quelque chose de plus que « mentalité française » : parce qu’en fait ce quelque