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Essais de sociologie

Et cette propagation tient à son tour à la nature même de la civilisation. Voici comment.

Il y a une double raison de faits à ce qu’un certain nombre d’éléments de la vie sociale, non strictement politique, morale et nationale, soient ainsi limités à un certain nombre de peuples, liés dans l’histoire et dans leur répartition à la surface du globe ; à ce que des civilisations aient des frontières, comme les nations ; à ce qu’elles aient une certaine permanence dans le temps, une naissance, une vie et une mort comme les nations qu’elles englobent.

Ces limites correspondent à une qualité profonde qui est commune à tous les phénomènes sociaux, et qui est marquée même dans ceux d’entre eux qui, n’étant pas caractéristiques d’une seule société, le sont pourtant de plusieurs sociétés, en nombre plus ou moins grand, et dont la vie fut plus ou moins longtemps commune. Tout phénomène social a en effet un attribut essentiel : qu’il soit un symbole, un mot, un instrument, une institution ; qu’il soit même la langue, même la science la mieux faite ; qu’il soit l’instrument le mieux adapté aux meilleures et aux plus nombreuses fins, qu’il soit le plus rationnel possible, le plus humain, il est encore arbitraire.

Tous les phénomènes sociaux sont, à quelque degré, œuvre de volonté collective, et, qui dit volonté humaine dit choix entre différentes options possibles. Une chose déterminée, un mot, un conte, une sorte d’aménagement du sol, une structure intérieure ou extérieure de la maison, une poterie, un outil, tout a un type, un mode, et même, dans bien des cas, en plus de sa nature et de sa forme modèle, un mode à soi d’utilisation. Le domaine du social c’est le domaine de la modalité. Les gestes même, le nœud de cravate, le col et le port du cou qui s’ensuit ; la démarche et la part du corps dont les exigences nécessitent le soulier en même temps que celui-ci les comporte — pour ne parler que des choses qui nous sont familières —, tout a une forme à la fois commune à de grands nombres d’hommes et choisie par eux parmi d’autres formes possibles. Et cette forme ne se trouve qu’ici et que là, et qu’à tel moment ou tel autre. La mode, quand on comprend ces choses dans le temps, est tout simplement un système de ces modalités. Henri Hubert a écrit de bien belles pages sur l’« aspect d’une civilisation », d’autres sur les « longs champs » gaulois qui persistent de nos jours et sur les formes successives du toit qui ne sont pas simplement comman-