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Essais de sociologie

École, ce sont des fichiers, paraît-il consciencieux et utiles ; c’est le commencement d’un Atlas Africanus, dont certaines parties sont bonnes.

La morphologie de la civilisation de M. Spengler est, à notre avis, également littéraire. Ces classifications morales des civilisations et des nations en dures et tendres, en organiques et en lâches, et cette philosophie de l’histoire, et ces vastes et colossales considérations, n’ont de valeur que pour le grand public. C’est un retour sans précision vers les formules désuètes des « destinées culturelles », des « missions historiques », vers tout le jargon de sociologie inconsciente qui encombre l’histoire vulgaire et même la soi-disant science sociale des partis. Vraiment le sociologue trouve plus d’idées et de faits dans Guizot. Nous attendrons cependant l’« Atlas historique de la civilisation » pour juger de la valeur heuristique d’un certain travail dont, en effet, l’utilité est incontestable. Cependant, nous redoutons même ce travail. Si, là encore, la morphologie doit être séparée de la simple cartographie d’aires et de couches de répartition d’objets, etc., si elle est guidée par l’idée a priori de « la culture » ou par les idées a priori définies de « telle et telle culture », elle sera pleine de pétitions de principe.

Au fond, on le voit, ces méthodes et ces notions ne sont légitimes que si elles sont employées toutes ensemble. Il faut encore ajouter, pour conclure sur les procédés ethnographiques, que nous ne les considérons nullement comme d’une très haute certitude. Ils sont utiles, mais rarement suffisants. Retracer par l’histoire hypothétique de leur civilisation l’histoire des peuples qui soi-disant n’ont pas d’histoire, est une entreprise fort osée. Nous dirons bien franc que, sur ce point précis de l’histoire des peuples, les notions ethnographiques et sociologiques ne sont qu’un adjuvat moins solide des méthodes linguistiques et archéologiques, qui sont, elles, autrement précises. Mais lorsqu’elles s’emploient concurremment avec les autres, alors, elles peuvent mener à des résultats notables. Considérons un instant le travail des « anthropologues sociaux » américains. Les hypothèses de M. Boas sur la mythologie répandue dans le bassin nord du Pacifique sont plus que vraisemblables, elles sont presque probantes ; celles de M. Wissler sur la forme asiatique du vêtement indien de l’Amérique du Nord, sont évidentes ; comme celles plus anciennes de Bruno Adler sur la flèche nord-asiatique en