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Les civilisations : éléments et formes
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de principe, que l’on sépare le fait « classe » du fait « clan ».

Ensuite, la relation entre ce caractère dominant et les autres caractères d’une civilisation n’est jamais évidente. Il n’est pas prouvé qu’ils s’entraînent nécessairement les uns les autres et que là où l’on trouve, par exemple, l’arc, on ait des chances de trouver une descendance utérine ou une descendance masculine (le principe varie avec les auteurs).

Cette sorte de fatalité dans la répartition simultanée des éléments simultanés de civilisation, n’est rien moins que prouvée. Une pareille délimitation d’une couche ou d’une aire de civilisation aboutit souvent à d’autres absurdités. M. Menghin, par exemple, va jusqu’à parler de « culture utérine » à propos du paléolithique congolais. Il est admirable que l’on puisse se figurer le droit d’une population inconnue à partir de quelques cailloux. Tout ceci, c’est fictions et hypothèses.

Une civilisation se définit, non pas par un, mais par un certain nombre, généralement assez grand, de caractères, et encore plus, par les doses respectives de ces différents caractères. Par exemple la navigation tient, naturellement, chez les Malais times et chez les Polynésiens, une place différente de celle qu’elle occupe chez d’autres Austronésiens continentaux. Concluons que la méthode des Kulturkreise est mal maniée et cela principalement parce qu’on l’isole de la méthode suivante.

Celle-ci porte le nom un peu retentissant de Morphologie der Kultur. Elle est connue surtout par les noms de deux auteurs, aussi discutables que populaires ; M. Frobenius et M. Spengler. Selon M. Frobenius, on verrait se détacher, en particulier à propos de l’Afrique, grâce à des cartes de répartition de toutes sortes de choses, les diverses cultures et même les diverses souches de culture, dont est composée en particulier la civilisation africaine. Ces civilisations actuelles de l’Afrique sont presque toutes métissées. Mais M. Frobenius sait retrouver, dans les mélanges et les stratifications, ces cultures pures dont la forme est arrêtée, dont l’utilité matérielle, dont la valeur morale et la grandeur historique sont appréciables par l’œil du morphologiste. C’est ainsi qu’on verrait, en Afrique occidentale noire, bouturées l’une sur l’autre, cinq ou six civilisations que M. Frobenius lui, connaît bien : l’égéenne et la syrtique et la sudérythréenne, et le « tellurisme éthiopien », et enfin, naturellement, l’Atlantis avec « l’Éros primitif ». Tout ce qu’a produit de sérieux cette