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Les civilisations : éléments et formes
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sur cette aire et nulle part ailleurs. Quoique phénomène social du second degré, une civilisation, comme toute société, a ses frontières et son esprit. La définition de l’aire d’une civilisation se fait donc par sa forme et inversement la définition d’une forme se fait par son aire d’extension.

Définissons ces deux termes. La forme d’une civilisation est le total (le ∑) des aspects spéciaux que revêtent les idées et les pratiques et les produits communs ou plus ou moins communs à un certain nombre de sociétés données, inventrices et porteuses de cette civilisation. On peut aussi dire que la forme d’une civilisation, c’est tout ce qui donne un aspect spécial, à nul autre pareil, aux sociétés qui forment cette civilisation.

Une aire de civilisation, c’est l’étendue géographique de répartition de ce total — plus ou moins complet dans chaque société de cette aire —, des phénomènes communs considérés comme caractéristiques, comme typiques de cette civilisation : c’est aussi l’ensemble des surfaces du sol où vivent des sociétés qui ont les représentations, les pratiques et les produits qui forment le patrimoine commun de cette civilisation.

Par abstraction, pour les nécessités d’un court exposé didactique — pour suivre les modes de la science ethnologique et de la géographie historique actuelle —, nous ne considérerons pas ici la notion de couches de civilisations. Elle est cependant bien importante. C’est celle que les historiens nomment, avec assez peu de précision : style, période, époque, etc. Voici cependant une définition provisoire : on appelle couche de civilisation la forme donnée que prend une civilisation d’une étendue donnée dans un temps donné.

Telles sont les divisions principales des faits et du problème.


Ces notions de formes et d’aires ont servi avec quelque exagération de principes à deux Écoles d’ethnologues allemands, opposées l’une à l’autre. Les uns font de l’aire de civilisation un moyen de tracer des généalogies ; les autres, dans le même but, se servent des formes de civilisation. On va voir quelle est leur faute.

Les premiers, Foy, M. Graebner, le P. Schmidt et son École, partent de la notion d’aire de civilisation (Kulturkreise) et de couches de civilisation (Kulturschichten).