Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/240

Cette page a été validée par deux contributeurs.
238
Essais de sociologie

Il est possible, par suite, de parler de civilisations plus ou moins vastes ou de civilisations plus ou moins restreintes. On peut encore distinguer des couches, des sphères concentriques, etc. Ainsi, quant à nous, nous enseignons depuis longtemps qu’il est possible de croire à l’existence fort ancienne d’une civilisation de toutes les rives et de toutes les îles du Pacifique ; à l’intérieur de cette civilisation très étendue, assez effacée, on peut, et sans doute on doit distinguer une civilisation du Pacifique sud et central ; et à l’intérieur de celle-ci, on aperçoit nettement une civilisation malayo-polynésienne, une polynésienne, une mélanésienne et une micronésienne. Il est même loisible d’échafauder toutes sortes de constructions sur la filiation de ces quatre civilisations, sur leurs rapports entre elles ; et même sur leurs rapports avec une civilisation austronésienne, austro-asiatique, pan-asiatique. En effet, il y a, dans ce domaine immense, de nombreuses coïncidences et de nombreuses variations entre les civilisations. Et celles-ci permettent les unes de croire à l’unité originelle des civilisations, même lorsqu’il y a diversité au moins partielle des races : par exemple mélanésienne, noire, et polynésienne, jaune clair ; ou inversement de croire à la diversité alors qu’il y a par exemple unité relative du langage : mélanésopolynésien (nous faisons abstraction de l’élément papou). Les limites du bétel et du kava, celles de l’arc et du sabre, celles de la cuirasse et de la palissade, celles de la maison sur pilotis, etc., permettent de classer les civilisations et même de faire des hypothèses sur leur généalogie, tout aussi bien que les divergences et les ressemblances dialectologiques sont un des meilleurs moyens pour établir les familles de peuples.

Il résulte de tout ceci que toute civilisation a, à la fois, une aire et une forme.

En effet, elle a toujours ses points d’arrêt, ses limites, son noyau et sa périphérie. La description et la définition de ces aires sont un travail capital pour l’histoire et, partant, pour la science de l’homme. Mais on ne s’aperçoit de cette extension que parce qu’on a l’impression que les éléments, les phénomènes de civilisation qui forment telle ou telle civilisation ont un type à eux et à elle, rien qu’à eux et à elle. La définition de cette forme est donc essentielle. Et les deux termes sont réciproquement liés. Toute civilisation a une aire parce qu’elle a une forme, et l’on ne peut s’apercevoir de cette forme que parce qu’elle est répandue