Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/227

Cette page a été validée par deux contributeurs.
De quelques formes primitives de classification
225

des classes d’hommes dans lesquelles ces choses ont été intégrées. C’est parce que les hommes étaient groupés et se pensaient sous forme de groupes qu’ils ont groupé idéalement les autres êtres, et les deux modes de groupement ont commencé par se confondre au point d’être indistincts. Les phratries ont été les premiers genres ; les clans, les premières espèces. Les choses étaient censées faire partie intégrante de la société et c’est leur place dans la société qui déterminait leur place dans la nature. Même on peut se demander si la manière schématique dont les genres sont ordinairement conçus ne dépendrait pas en partie des mêmes influences. C’est un fait d’observation courante que les choses qu’ils comprennent sont généralement imaginées comme situées dans une sorte de milieu idéal, de circonscription spatiale plus ou moins nettement limitée. Ce n’est certainement pas sans cause que, si souvent, les concepts et leurs rapports ont été figurés par des cercles concentriques, excentriques, intérieurs, extérieurs les uns aux autres, etc. Cette tendance à nous représenter des groupements purement logiques sous une forme qui contraste à ce point avec leur nature véritable ne viendrait-elle pas de ce qu’ils ont commencé par être conçus sous la forme de groupes sociaux, occupant, par suite, un emplacement déterminé dans l’espace ? Et, en fait, n’avons-nous pas observé cette localisation spatiale des genres et des espèces dans un assez grand nombre de sociétés très différentes ?

Non seulement la forme extérieure des classes, mais les rapports qui les unissent les unes aux autres sont d’origine sociale. C’est parce que les groupes humains s’emboîtent les uns dans les autres, le sous-clan dans le clan, le clan dans la phratrie, la phratrie dans la tribu, que les groupes de choses se disposent suivant le même ordre. Leur extension régulièrement décroissante à mesure qu’on passe du genre à l’espèce, de l’espèce à la variété, etc., vient de l’extension également décroissante que présentent les divisions sociales à mesure qu’on s’éloigne des plus larges et des plus anciennes pour se rapprocher des plus récentes et des plus dérivées. Et si la totalité des choses est conçue comme un système un, c’est que la société elle-même est conçue de la même manière. Elle est un tout, ou plutôt elle est le tout unique auquel tout est rapporté. Ainsi la hiérarchie logique n’est qu’un autre aspect de la hiérarchie sociale et l’unité de la connaissance n’est autre chose que l’unité même de la collectivité, étendue à l’univers.