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Essais de sociologie

dieu des eaux, se relient d’autres personnalités plus pâles, des dieux agraires (Aphareus, Aloeus, le laboureur, le batteur), des dieux de chevaux (Actor, Élatos, Hippocoon, etc.), un dieu de la végétation (Phutalmios).

Ces classifications sont même des éléments tellement essentiels des mythologies développées qu’elles ont joué un rôle important dans l’évolution de la pensée religieuse ; elles ont facilité la réduction à l’unité de la multiplicité des dieux et, par là, elles ont préparé le monothéisme. L’« hénothéisme »[1] qui caractérise la mythologie brahmanique, au moins une fois qu’elle eut atteint un certain développement, consiste, en réalité, dans une tendance à réduire de plus en plus les dieux les uns aux autres, si bien que chacun a fini par posséder les attributs de tous les autres et même leurs noms. Une classification instable où le genre devient facilement l’espèce et inversement, mais qui manifeste une tendance croissante pour l’unité, voilà ce qu’est, d’un certain point de vue, le panthéisme de l’Inde prébouddhique ; et il en est de même du civaïsme et du vishnouisme classique. M. Usener a également montré dans la systématisation progressive des polythéismes grecs et romains une condition essentielle de l’avènement du polythéisme occidental. Les petits dieux locaux, spéciaux, se rangent peu à peu sous des chefs plus généraux, les grands dieux de la nature, et tendent à s’y absorber. Pendant un temps, la notion de ce que les premiers ont de spécial, se maintient ; le nom de l’ancien dieu coexisté avec celui du grand dieu, mais seulement comme attribut de ce dernier ; puis son existence devient de plus en plus fantomatique jusqu’au jour où les grands dieux subsistent seuls, sinon dans le culte, du moins dans la mythologie. On pourrait presque dire que les classifications mythologiques/quand elles sont complètes et systématiques, quand elles embrassent l’univers, annoncent la fin des mythologies proprement dites, Pan, le Brahman, Prajâpati, genres suprêmes, êtres absolus et purs sont des figures mythiques presque aussi pauvres d’images que le Dieu transcendantal des chrétiens.

Et par là, il semble que nous nous rapprochions insensiblement des types abstraits et relativement rationnels qui sont au

  1. Le mot est de Marx Müller qui, d’ailleurs, l’applique à tort aux formes primitives du brahmanisme.