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Essais de sociologie

d’ailleurs, la terre au centre du monde, pour pouvoir la répartir entre les quatre régions de l’espace. Par suite, ils sont, eux aussi, comme les régions, bons ou mauvais, puissants ou faibles, générateurs ou engendrés.

Nous ne poursuivrons pas la pensée chinoise dans ses mille et mille replis traditionnels. Pour pouvoir adapter aux faits les principes sur lesquels repose ce système, elle a multiplié, compliqué, sans se lasser, les divisions et subdivisions des espaces et des choses. Elle n’a même pas craint les contradictions les plus expresses. Par exemple, on a pu voir que la terre est alternativement située au Nord, au Nord-Est et au Centre. C’est qu’en effet, cette classification avait surtout pour objet de régler la conduite des hommes ; or, elle arrivait à cette fin, tout en évitant les démentis de l’expérience, grâce à cette complexité même.

Il nous reste pourtant à expliquer une dernière complication du système chinois : comme les espaces, comme les choses et les événements, les temps eux-mêmes en font partie. Aux quatre régions correspondent les quatre saisons. De plus, chacune de ces régions est subdivisée en six parties, et ces vingt-quatre subdivisions donnent naturellement les vingt-quatre saisons de l’année chinoise. Cette concordance n’a rien qui doive nous surprendre. Dans tous les systèmes de pensée dont nous venons de parler, la considération des temps est parallèle à celle des espaces. Dès qu’il y a orientation, les saisons sont rapportées nécessairement aux points cardinaux, l’hiver au Nord, l’été au Midi, etc. Mais la distinction des saisons n’est qu’un premier pas dans le comput des temps. Celui-ci, pour être complet, suppose en outre une division en cycles, années, jours, heures, qui permette de mesurer toutes les étendues temporelles, grandes ou petites. Les Chinois sont arrivés à ce résultat par le procédé suivant. Ils ont constitué deux cycles, l’un de douze divisions et l’autre de dix ; chacune de ces divisions a son nom et son caractère propre, et ainsi chaque moment du temps est représenté par un binôme de caractères, empruntés aux deux cycles différents[1]. Ces deux cycles s’emploient concurremment aussi bien pour les années que pour les jours, les mois et les heures, et l’on arrive ainsi à une mensuration assez exacte. Leur combinaison forme,

  1. Dans les plus anciens classiques ils sont appelés les dix mères et les douze enfants.