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De quelques formes primitives de classification
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Ainsi, les deux types de classification que nous venons d’étudier ne font qu’exprimer, sous des aspects différents, les sociétés mêmes au sein desquelles elles se sont élaborées ; la première était modelée sur l’organisation juridique et religieuse de la tribu, la seconde sur son organisation morphologique. Lorsqu’il s’agit d’établir des liens de parenté entre les choses, de constituer des familles de plus en plus vastes d’êtres et de phénomènes, on a procédé à l’aide des notions que fournissaient la famille, le clan, la phratrie et l’on est parti des mythes totémiques. Lors qu’il s’est agi d’établir des rapports entre les espaces, ce sont les rapports spatiaux que les hommes soutiennent à l’intérieur de la société qui ont servi de point de repère. Ici, le cadre a été fourni par le clan lui-même, là, par la marque matérielle que le clan a mise sur le sol. Mais l’un et l’autre cadre sont d’origine sociale.


IV

Il nous reste maintenant à décrire, au moins dans ses principes, un dernier type de classification qui présente tous les caractères essentiels de ceux qui précèdent sauf qu’il est, depuis qu’il est connu, indépendant de toute organisation sociale. Le meilleur cas du genre, le plus remarquable et le plus instructif, nous est offert par le système divinatoire astronomique, astrologique, géomantique et horoscopique des Chinois. Ce système a derrière lui une histoire qui remonte aux temps les plus lointains ; car il est certainement antérieur aux premiers documents authentiques et datés que nous ait conservés la Chine. Dès les premiers siècles de notre ère, il était déjà en plein développement. D’autre part, si nous allons l’étudier de préférence en Chine, ce n’est pas qu’il soit spécial à ce pays ; on le trouve dans tout l’Extrême-Orient. Les Siamois, les Cambodgiens, les Thibétains, les Mongols le connaissent et l’emploient également. Pour tous ces peuples, il exprime le « tao », c’est-à-dire la nature, n’est à la base de toute la philosophie et de tout le culte qu’on appelle vulgairement taoisme. Il régit en somme tous les détails de la vie dans le plus immense groupement de population qu’ait jamais connu l’humanité.

L’importance même de ce système ne nous permet pas d’en retracer autre chose que les grandes lignes. Nous nous bornerons