Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.
De quelques formes primitives de classification
203

Il est donc permis de croire, d’après ce qui précède, que le système des Zuñis[1] est en réalité un développement et une complication du système australien. Mais ce qui achève de démontrer la réalité de ce rapport, c’est qu’il est possible de retrouver les états intermédiaires qui relient deux états extrêmes et, ainsi, d’apercevoir comment le second s’est dégagé du premier.

La tribu siou des Omahas, telle que nous l’a décrite M. Dorsey se trouve précisément dans cette situation mixte : la classification des choses par clans y est encore et surtout y a été très nette, mais la notion systématique des régions y est seulement en voie de formation.

  1. Nous disons le système des Zuñis, parce que c’est chez eux qu’il a été le mieux et le plus complètement observé. Nous ne pouvons pas établir d’une manière tout à fait catégorique que les autres Indiens pueblos ont procédé de même : mais nous sommes convaincus que les études que font en ce moment sur ces différents peuples MM. Fewkes, Bourke, Mrs Stevenson, M. Dorsey conduiront à des résultats similaires. Ce qui est certain, c’est que chez les Hopis de Walpi et de Tusayan on trouve neuf groupes de clans analogues à ceux que nous avons rencontrés chez les Zuñis : le premier clan de chacun de ces groupes a le même nom que le groupe tout entier, preuve que ce groupement est dû à la segmentation d’un clan initial. Ces neuf groupes renferment une multitude innombrable de sous-totems qui paraissent bien épuiser toute la nature. D’autre part, il est fait expressément mention pour ces clans d’orients mythiques déterminés. Ainsi le clan du serpent à sonnettes est venu de l’Ouest et du Nord et il comprend un certain nombre de choses qui sont, par cela même, orientées : différentes sortes de cactus, les colombes, les marmottes, etc. De l’Est est venu le groupe de clans qui a pour totem la corne et qui comprend l’antilope, le daim, la brebis des montagnes. Chaque groupe est originaire d’une région nettement orientée. D’autre part le symbolisme des couleurs correspond bien à celui que nous avons observé chez les Zuñis. Enfin, comme chez les Zuñis également, les monstres de proie et les gibiers sont répartis par régions. Il y a toutefois cette différence que les régions ne correspondent pas aux points cardinaux.

    Le pueblo ruiné de Sia semble avoir conservé un souvenir fort net de cet état de la pensée collective. Ce qui montre bien que les choses y ont été divisées d’abord par clans, et ensuite par régions, c’est qu’il existe dans chaque région un représentant de chaque animal divin. Mais actuellement les clans n’y existent plus qu’à l’état de survivance.

    Nous croyons qu’on trouverait chez les Navahos de semblables méthodes classificatrices. Nous sommes aussi persuadé, sans pouvoir l’établir ici, que beaucoup de faits de la symbologie des Huichols et de celle des Aztèques, « ces autres Pueblos » comme dit Morgan, trouveraient une explication décisive dans des faits de ce genre. L’idée a d’ailleurs été émise par MM. Powell, Mallery et Cyrus Thomas.