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De quelques formes primitives de classification
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des rites déterminés[1]. Or, il est très remarquable que, sur ces six animaux, trois servent encore de totems à des clans existants et sont orientés comme ces clans eux-mêmes ; ce sont l’ours, le blaireau et l’aigle. D’autre part, le lion des montagnes n’est que le substitut du coyote qui jadis était le totem de l’un des clans du Nord[2]. Quand le coyote passa à l’Ouest, il laissa, pour le remplacer au Nord, une des espèces qui lui étaient parentes. Il y eut donc un moment où quatre de ces animaux privilégiés étaient totémiques. Pour ce qui est de la taupe de proie et du loup blanc, il faut observer qu’aucun des êtres qui servent de totems aux clans des deux régions correspondantes (Est et Nadir) n’est un animal de proie[3]. Il fallut donc bien leur trouver des substituts.

Ainsi, les différentes sortes de gibiers sont conçues comme subordonnées directement aux totems ou à des succédanés des totems. C’est seulement à travers ces derniers qu’ils se rattachent à leurs orients respectifs. C’est donc que la classification des choses sous les totems, c’est-à-dire par clans, a précédé l’autre.

Sous un autre point de vue encore, les mêmes mythes dénotent cette antériorité d’origine. Les six animaux de proie ne sont pas seulement préposés au gibier, mais encore aux six régions ; à chacun d’eux une des six parties du monde est affectée et c’est lui qui en a la garde. C’est par son intermédiaire que les êtres placés dans sa région communiquent avec le dieu créateur des hommes. La région et tout ce qui y ressortit se trouvent donc conçus comme dans un certain rapport de dépendance vis-à-vis des animaux totems. Ce qui n’aurait jamais pu se produire si la classification par orients avait été primitive.

Ainsi, sous la classification par régions, qui, au premier abord, était seule apparente, nous en retrouvons une autre qui est, de tous points, identique à celles que nous avons observées

  1. Les six animaux fétiches coïncident exactement, sauf deux, avec les six animaux de proie des mythes. La divergence vient simplement de ce que deux espèces ont été remplacées par deux autres qui étaient apparentées aux premières.
  2. Ce qui le prouve, c’est que le fétiche du coyote jaune, qui est attribué au Nord comme espèce secondaire, a cependant un rang de préséance sur le fétiche du coyote bleu, lequel est de l’Ouest.
  3. Il y a bien le serpent qui est totem du Nadir et qui, d’après nos idées actuelles, est un animal de proie. Mais il n’en est pas ainsi pour le Zuñi. Pour lui, les bêtes de proie ne peuvent être que des bêtes munies de griffes.