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De quelques formes primitives de classification
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Les Zuñis, dit M. Powell, « représentent un développement inusité des conceptions primitives concernant les relations des choses ». Chez eux, la notion que la société a d’elle-même et la représentation qu’elle s’est faite du monde sont tellement entrelacées et confondues que l’on a pu très justement qualifier leur organisation de « mytho-sociologique ». M. Cushing n’exagère donc pas quand, parlant de ses études sur ce peuple, il dit : « Je suis convaincu qu’elles ont de l’importance pour l’histoire de l’humanité… car les Zuñis, avec leurs coutumes et leurs institutions si étrangement locales, avec les traditions qui concernent ces coutumes, représentent une phase de civilisation. » Et il se félicite de ce que leur contact ait « élargi sa compréhension des plus anciennes conditions de l’humanité, comme rien d’autre ne l’aurait pu faire ».

C’est qu’en effet nous trouvons chez les Zuñis un véritable arrangement de l’univers. Tous les êtres et tous les faits de la nature, « le soleil, la lune, les étoiles, le ciel, la terre et la mer avec tous leurs phénomènes et tous leurs éléments, les êtres inanimés aussi bien que les plantes, les animaux et les hommes » sont classés, étiquetés, assignés à une place déterminée dans « un système » unique et solidaire et dont toutes les parties sont coordonnées et subordonnées les unes aux autres suivant « des degrés de parenté »[1].

    blé et les pêches qu’ont importés les Espagnols, sont des joailliers distingués ; pendant près de deux cents ans, ils ont été en relations avec les Mexicains. Aujourd’hui, ils sont catholiques, mais seulement d’une manière extérieure ; ils ont conservé leurs rites, leurs usages et leurs croyances. Ils habitent tous ensemble un pueblo, c’est-à-dire une seule ville, formée en réalité de six ou sept maisons, plutôt que de six ou sept groupes de maisons. Ils se caractérisent donc par une extrême concentration sociale, un conservatisme remarquable en même temps que par une grande faculté d’adaptation et d’évolution. Si nous ne trouvons pas chez eux ce primitif dont nous parlent MM. Cushing et Powell, il est certain que nous avons affaire à une pensée qui s’est développée suivant des principes très primitifs.

    L’histoire de cette tribu est résumée par M. Cushing ; l’hypothèse qu’il propose, d’après laquelle les Zuñis auraient une double origine, ne nous paraît nullement prouvée.

  1. D’après M. Cushing « les degrés de parenté (relationship) semblent être largement, sinon entièrement, déterminés par des degrés de ressemblance ». Ailleurs l’auteur a cru pouvoir appliquer son système