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De quelques formes primitives de classification
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miques ont cessé d’être classés sous les phratries ; chacun d’eux chevauche sur les deux phratries qui se partagent la tribu. Mais la diffusion n’y est pas aussi complète. Au lieu d’être répandus, au hasard et sans règle, dans toute l’étendue de la société, ils sont répartis d’après des principes fixes et localisés dans des groupes déterminés, quoique différents de la phratrie. Chaque phratrie est divisée, en effet, en huit classes matrimoniales[1] ; or chaque classe d’une phratrie ne peut se marier qu’avec une classe déterminée de l’autre, qui comprend ou peut comprendre les mêmes totems que la première. Réunies, ces deux classes correspondantes contiennent donc un groupe défini de totems et de choses, qui ne se retrouvent pas ailleurs. Par exemple, aux deux classes Chongora-Chabalye appartiennent les pigeons de toute sorte, les fourmis, les guêpes, les moustiques, les centipèdes, l’abeille indigène, le gazon, la sauterelle, divers serpents, etc. ; au groupe formé par les classes Chowan et Chowarding sont attribués certaines étoiles, le soleil, les nuages, la pluie, la poule d’eau, l’ibis, le tonnerre, l’aigle faucon et le faucon brun, le canard noir, etc. ; au groupe Chambeen-Changalla, le vent, l’éclair, la lune, la grenouille, etc. ; au groupe Chagarra-Chooarroo, les coquillages, le rat bilbi, le corbeau, le porc-épic, le kangourou, etc. Ainsi, en un sens, les choses sont encore rangées dans des cadres déterminés, mais ceux-ci ont déjà quelque chose de plus artificiel et de moins consistant puisque chacun d’eux est formé de deux sections qui ressortissent à deux phratries différentes.

  1. Sur ce point encore, il y a une parenté remarquable entre cette tribu et celle des Aruntas où les classes matrimoniales sont également au nombre de huit ; c’est du moins le cas chez les Aruntas du nord, et chez les autres, la même subdivision des quatre classes primitives est en voie de formation. La cause de ce sectionnement est la même dans les deux sociétés c’est la transformation de la filiation utérine en filiation masculine. Il a été montré ici même comment cette révolution aurait, en effet, pour résultat de rendre tout mariage impossible, si les quatre classes initiales ne se subdivisaient (voir Année sociologique, 5, p. 106, n. 1). — Chez les Chingalee, ce changement s’est d’ailleurs produit d’une manière très spéciale. La phratrie et, par suite, la classe matrimoniale, continuent à se transmettre en ligne maternelle ; le totem seul est hérité du père. On s’explique ainsi comment chaque classe d’une phratrie a, dans l’autre, une classe correspondante qui comprend les mêmes totems. C’est que l’enfant appartient à une classe de la phratrie maternelle ; mais il a les mêmes totems que son père, lequel appartient à une classe de l’autre phratrie.