Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/189

Cette page a été validée par deux contributeurs.
De quelques formes primitives de classification
187

égaux les uns aux autres, sans aucune subordination. Naturellement, la classification se modifie en conséquence. Les espèces de choses attribuées à chacune de ces subdivisions constituent autant de genres séparés, situés sur le même plan. Toute hiérarchie a disparu. On peut bien concevoir qu’il en reste encore quelques traces à l’intérieur de chacun de ces petits clans. Les êtres, rattachés au sous-totem, devenu maintenant totem, continuent à être subsumés sous ce dernier. Mais tout d’abord ils ne peuvent plus être bien nombreux, étant donné le caractère fractionnaire de ces petits groupes. De plus, pour peu que le mouvement se poursuive, chaque sous-totem finira par être élevé à la dignité de totem, chaque espèce, chaque variété subordonnée sera devenue un genre principal. Alors, l’ancienne classification aura fait place à une simple division sans aucune organisation interne, à une répartition des choses par têtes, et non plus par souches. Mais, en même temps, comme elle se fait entre un nombre considérable de groupes, elle se trouvera comprendre, à peu près, l’univers tout entier.

C’est dans cet état que se trouve la société des Aruntas. Il n’existe pas chez eux de classification achevée, de système constitué. Mais, selon les expressions mêmes employées par MM. Spencer et Gillen, « en fait, dans le pays occupé par les indigènes, il n’y a pas un objet, animé ou inanimé qui ne donne son nom à quelque groupe totémique d’individus[1] ». Nous trouvons mentionnées dans leur ouvrage cinquante-quatre espèces de choses servant de totems à autant de groupes totémiques ; et encore, comme ces observateurs ne se sont pas préoccupés d’établir eux-mêmes une liste complète de ces totems, celle que nous avons pu dresser, en réunissant les indications éparses dans leur livre, n’est certainement pas exhaustive[2]. Or, la tribu des Aruntas

  1. Native Tribes of Central Australia, Londres, 1898, p. 112.
  2. Nous croyons rendre service en reproduisant ici cette liste telle que nous l’avons reconstituée. Bien entendu, nous ne suivons aucun ordre dans notre énumération : le vent, le soleil, l’eau ou nuage (p. 112), le rat, la chenille witchetty, le kangourou, le lézard, l’émou, la fleur hakea (p. 116), l’aigle faucon, le elonka (fruit comestible), une espèce de manne, le chat sauvage, l’irriakura (espèce de bulbe), la chenille du papillon longicome, le bandicoot, la manne ilpirla, la fourmi à miel, la grenouille, la baie chankuna, le prunier, le poisson irpunga, l’opossum, le chien sauvage, l’euro (p. 177 et suivantes), le petit faucon (p. 232), le serpent tapis (p. 242), la petite chenille, la grande chauve-