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Essais de sociologie

sous-totems sont des totems en voie de formation. « Ils conquièrent une sorte d’indépendance. » Ainsi, pour certains individus, le pélican blanc est un totem, et le soleil un sous-totem, alors que d’autres les classent en ordre inverse. C’est que, vraisemblablement, ces deux dénominations devaient servir de sous-totems à deux sections d’un clan ancien, dont le vieux nom serait « tombé », et qui comprenait, parmi les choses qui lui étaient attribuées, et le pélican et le soleil. Avec le temps, les deux sections se sont détachées de leur souche commune : l’une a pris le pélican comme totem principal, laissant le soleil au second rang, alors que l’autre faisait le contraire. Dans d’autres cas, où l’on ne peut pas observer aussi directement la manière dont se fait cette segmentation, elle est rendue sensible par les rapports logiques qui unissent entre eux les sous-clans issus d’un même clan. On voit clairement qu’ils correspondent aux espèces d’un même genre. C’est ce que nous montrerons expressément plus loin, à propos de certaines sociétés américaines[1].

Or il est aisé de voir quels changements cette segmentation doit introduire dans les classifications. Tant que les sous-clans, issus d’un même clan originaire, conservent le souvenir de leur commune origine ils sentent qu’ils sont parents, associés, qu’ils ne sont que les parties d’un même tout ; par suite, leurs totems et les choses classées sous ces totems restent subordonnés, en quelque mesure, au totem commun du clan total. Mais, avec le temps, ce sentiment s’efface. L’indépendance de chaque section augmente et finit par devenir une autonomie complète. Les liens qui unissaient tous ces clans et sous-clans en une même phratrie se détendent encore plus aisément et toute la société finit par se résoudre en une poussière de petits groupes autonomes,

    espèce de choses a tantôt le caractère d’un totem et tantôt celui d’un sous-totem, a rendu difficile la constitution d’un tableau exact des clans et des totems.

  1. Cette segmentation et les modifications qui en résultent dans la hiérarchie des totems et des sous-totems permettent peut-être d’expliquer une particularité intéressante de ces systèmes sociaux. On sait que, en Australie notamment, les totems sont très généralement des animaux, beaucoup plus rarement des objets inanimés. On peut croire que primitivement tous étaient empruntés au monde animal. Mais sous ces totems primitifs se trouvaient classés des objets inanimés qui, par suite de segmentations, finissent par être promus au rang de totems principaux.