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De quelques formes primitives de classification
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Nous avons vu comment les espèces de choses, classées dans un clan, y servent de totems secondaires ou sous-totems ; c’est-à-dire que, à l’intérieur du clan, tel ou tel groupe particulier d’individus en vient, sous l’influence de causes que nous ignorons, à se sentir plus spécialement en rapports avec telles ou telles des choses qui sont attribuées, d’une manière générale, au clan tout entier. Que maintenant celui-ci, devenu trop volumineux, tende à se segmenter, et ce sera suivant les lignes marquées par la classification que se fera cette segmentation. Il faut se garder de croire, en effet, que ces sécessions soient nécessairement le produit de mouvements révolutionnaires et tumultueux. Le plus souvent, il semble bien qu’ils ont eu lieu suivant un processus parfaitement logique. Déjà, dans un grand nombre de cas, c’est ainsi que les phratries se sont constituées et partagées en clans. Dans plusieurs sociétés australiennes, elles s’opposent l’une à l’autre comme les deux termes d’une antithèse, comme le blanc et le noir, et, dans les tribus du détroit de Torrès, comme la terre et l’eau ; de plus, les clans qui se sont formés à l’intérieur de chacune d’elles soutiennent les uns avec les autres des rapports de parenté logique. Ainsi, il est rare en Australie que le clan du corbeau soit d’une autre phratrie que celui du tonnerre, des nuages et de l’eau. De même, dans un clan, quand une segmentation devient nécessaire, ce sont les individus groupés autour d’une des choses classées dans le clan qui se détachent du reste, pour former un clan indépendant, et le sous-totem devient un totem. Le mouvement une fois commencé peut, d’ailleurs, se poursuivre et toujours d’après le même procédé. Le sous-clan qui s’est ainsi émancipé emporte, en effet, avec lui, dans son domaine idéal, outre la chose qui lui sert de totem, quelques autres qui sont considérées comme solidaires de la première. Ces choses, dans le clan nouveau, remplissent le rôle de sous-totems, et peuvent, s’il y a lieu, devenir autant de centres autour desquels se produiront plus tard des segmentations nouvelles.

Les Wotjoballuk nous permettent précisément de saisir ce phénomène, sur le vif, pour ainsi dire, dans ses rapports avec la classification[1]. D’après M. Howitt, un certain nombre de

  1. C’est même à ce point de vue exclusif que Howitt a étudié les Wotjoballuk, et c’est cette segmentation qui, en faisant qu’une même