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Essais de sociologie

lon (sting ray) sont rattachés, à ce titre, à la phratrie de l’eau ; le chien, à la phratrie de la terre. Deux autres sous-totems sont, en outre, attribués à cette dernière ; ce sont des ornements faits de coquillages en forme de croissants. Si l’on songe que, dans ces îles, le totémisme est partout en pleine décadence, il paraîtra d’autant plus légitime de voir dans ces faits les restes d’un système plus complet de classification. Il est très possible qu’une organisation analogue se rencontre ailleurs dans le détroit de Torrès et à l’intérieur de la Nouvelle-Guinée. Le principe fondamental, la division par phratries et clans groupés trois par trois, a été constaté formellement à Saibai (île du détroit) et à Daudai.

Nous serions tentés de retrouver des traces de cette même classification aux îles Murray, Mer, Waier et Dauar. Sans entrer dans le détail de cette organisation sociale, telle que nous l’a décrite M. Hunt, nous tenons à attirer l’attention sur le fait suivant. Il existe chez ces peuples un certain nombre de totems. Or chacun d’eux confère aux individus qui le portent des pouvoirs variés sur différentes espèces de choses. Ainsi, les gens qui ont pour totem le tambour ont les pouvoirs suivants : c’est à eux qu’il appartient de faire la cérémonie qui consiste à imiter les chiens et à frapper les tambours ; ce sont eux qui fournissent les sorciers chargés de faire multiplier les tortues, d’assurer la récolte des bananes, de deviner les meurtriers par les mouvements du lézard ; ce sont eux enfin qui imposent le tabou du serpent. On peut donc dire avec assez de vraisemblance que du clan du tambour relèvent, à certains égards, outre le tambour lui-même, le serpent, les bananes, les chiens, les tortues, les lézards. Toutes ces choses ressortissent, au moins partiellement, à un même groupe social et, par suite, les deux expressions étant au fond synonymes, à une même classe d’êtres[1].

La mythologie astronomique des Australiens porte la marque de ce même système mental. Cette mythologie, en effet, est pour ainsi dire, moulée sur l’organisation totémique. Presque par

  1. Nous tenions à appeler l’attention sur ce fait, parce qu’il nous fournit l’occasion d’une remarque générale. Partout où l’on voit un clan ou une confrérie religieuse exercer des pouvoirs magico-religieux sur des espèces de choses différentes, il est légitime de se demander s’il n’y a pas là l’indice d’une ancienne classification attribuant à ce groupe social ces différentes espèces d’êtres.