Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/179

Cette page a été validée par deux contributeurs.
De quelques formes primitives de classification
177

à invoquer la tradition. « Les raisons qui ont fait établir le cadre ont été oubliées, mais le cadre subsiste et on l’applique tant bien que mal même aux notions nouvelles comme celle du bœuf qui a été tout récemment introduit. » À plus forte raison ne faut-il pas nous étonner que beaucoup de ces associations nous déroutent. Elles ne sont pas l’œuvre d’une logique identique à la nôtre. Des lois y président que nous ne soupçonnons pas.

Un cas analogue nous est fourni par les Wotjoballuk, tribu de la Nouvelle-Galles du Sud, l’une des plus évoluées de toutes les tribus australiennes. Nous devons les renseignements à M. Howitt lui-même dont on connaît la compétence. La tribu est divisée en deux phratries, Krokitch et Gamutch[1], qui, dit-il, semblent en fait se partager tous les objets naturels. Suivant l’expression des indigènes, « les choses appartiennent aux phratries ». De plus, chaque phratrie comprend un certain nombre de clans. À titre d’exemples, M. Howitt cite dans la phratrie Krokitch les clans du vent chaud, du cacatois blanc sans crête, des choses du soleil, et, dans la phratrie Gamutch, ceux de la vipère sourde, du cacatois noir, du pélican. Mais ce ne sont là que des exemples : « J’ai donné, dit-il, trois totems de chaque phratrie comme exemples, mais il y en a plus ; huit pour les Krokitch et, pour les Gamutch, au moins quatre. » Or les choses classées dans chaque phratrie sont réparties entre les différents clans qu’elle comprend. De la même façon que la division primaire (ou phratrie) est partagée en un certain nombre de divisions totémiques, de même tous les objets attribués à la phratrie sont divisés entre ces totems. Ainsi chaque totem possède un certain nombre d’objets naturels qui ne sont pas tous des animaux, car il y a parmi eux une étoile, le feu, le vent,  etc. Les choses ainsi classées sous chaque totem, sont appelées par M. Howitt des sous-totems ou des pseudo-totems. Le cacatois blanc, par exemple, en compte quinze et le vent chaud cinq. Enfin la classification est poussée à un tel degré de complexité que parfois, à ces totems secondaires des totems tertiaires se trouvent subordonnés. Ainsi la classe krokitch (phratrie), comprend comme division le pélican (totem) :

  1. On voit la parenté de ces noms avec ceux de Kroki et de Kumite employés par la tribu du Mont-Gambier ; ce qui prouve l’authenticité de ce système de classification qui se retrouve ainsi sur des points aussi éloignés l’un de l’autre.