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Essais de sociologie

chaque genre est beaucoup plus considérable, car les clans peuvent être très nombreux. Mais, en même temps, sur cette organisation plus différenciée, l’état de confusion initiale d’où est parti l’esprit humain est toujours sensible. Si les groupes distincts se sont multipliés, à l’intérieur de chaque groupe élémentaire règne la même indistinction. Les choses attribuées à une phratrie sont nettement séparées de celles qui sont attribuées à l’autre ; celles attribuées aux différents clans d’une même phratrie ne sont pas moins distinguées. Mais toutes celles qui sont comprises dans un seul et même clan sont dans une large mesure, indifférenciées. Elles sont de même nature ; il n’y a pas entre elles de lignes de démarcations tranchées comme il en existe entre les variétés ultimes de nos classifications. Les individus du clan, les êtres de l’espèce totémique, ceux des espèces qui y sont rattachées, tous ne sont que des aspects divers d’une seule et même réalité. Les divisions sociales appliquées à la masse primitive des représentations ont bien pu y découper un certain nombre de cadres délimités, mais l’intérieur de ces cadres est resté dans un état relativement amorphe qui témoigne de la lenteur et de la difficulté avec laquelle s’est établie la fonction classificatrice.

Dans quelques cas, il n’est peut-être pas impossible d’apercevoir certains des principes d’après lesquels se sont constitués ces groupements. Ainsi, dans cette tribu du Mont-Gambier, au cacatois blanc est rattaché le soleil, l’été, le vent ; au cacatois noir la lune, les étoiles, les astres de la nuit. Il semble que la couleur ait comme fourni la ligne selon laquelle se sont disposées, d’une manière antithétique ces diverses représentations. De même le corbeau comprend tout naturellement, en vertu de sa couleur, la pluie, et par suite l’hiver, les nuages, et, par eux, l’éclair et le tonnerre. M. Stewart ayant demandé à un indigène à quelle division appartenait le taureau, reçut, après un moment de réflexion, la réponse suivante : « Il mange de l’herbe, donc il est boortwerio, c’est-à-dire du clan de l’arbre à thé, qui comprend probablement tous les herbages et les herbivores. » Mais ce sont là, très probablement, des explications après coup auxquelles le Noir recourt pour se justifier à lui-même sa classification et la ramener à des règles générales d’après lesquelles il se guide. Bien souvent, d’ailleurs, de semblables questions le prennent à l’improviste et il se borne, pour toute réponse,