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De quelques formes primitives de classification
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phratrie que l’envoyeur et le porteur. Cette concordance obligatoire paraîtra peut-être n’avoir rien de bien extraordinaire, étant donné que, dans presque toute l’Australie, l’invitation à une session initiatoire se fait par un messager porteur de « diables » (ou bull-roarer, turndun, churinga) qui sont évidemment la propriété de tout le clan, et par conséquent du groupe qui invite comme de ceux qui sont invités. Mais la même règle s’applique aux messages destinés à assigner un rendez-vous de chasse et, ici, l’expéditeur, le destinataire, le messager, le bois du message, le gibier désigné, la couleur dont il est peint, tout s’accorde rigoureusement conformément au principe posé par la classification. Ainsi, dans un exemple que nous rapporte Howitt, le bâton était envoyé par un Obù. Par suite, le bois du bâton était en gydea, sorte d’acacia qui est de la phratrie Wùtarù dont font partie les Obù. Le gibier représenté sur le bâton était l’émou et le wallaby, animaux de la même phratrie. La couleur du bâton était le bleu, probablement pour la même raison. Ainsi tout se suit ici, à la façon d’un théorème : l’envoyeur, le destinataire l’objet et l’écriture du message, le bois employé sont tous apparentés. Toutes ces notions paraissent au primitif se commander et s’impliquer avec une nécessité logique[1].

  1. M. Muirhead dit expressément que cette manière de procéder est suivie par les tribus voisines. — À ce système de Wakelbùra il y a probablement lieu de rattacher aussi les faits cités par M. Roth, à propos des Pitta-Pitta, des Kalkadoon, des Matikoodi, des Woonamurra, toutes voisines des Wakelbùra (« Ethnological Studies among the Nord West-Central Queensland Aborigines », t. 1897, p. 57, 58. Cf. Proceed. R. Society Queensland, 1897). Chaque classe matrimoniale a une série d’interdictions alimentaires de telle sorte que « toute la nourriture à la disposition de la tribu est divisée entre ses membres » (Proceedings, etc., p. 189). Prenons par exemple les Pitta-Pitta. Les individus de la classe des Koopooroo ne peuvent manger de l’iguane, du dingo jaune, du petit poisson jaune « avec un os en soi » (p. 57). Les Wongko ont à éviter le dindon des buissons, le bandicoot, l’aigle faucon, le dingo noir, le canard « absolument blanc », etc. ; aux Koorkilla sont interdits le kangourou, le serpent tapis, la carpe, le canard à tête brune et à gros ventre, diverses espèces d’oiseaux plongeurs, etc. ; aux Bunburi l’emou, le serpent jaune, certaine espèce de faucon, une espèce de perroquet. Nous avons ici en tout cas, un exemple de classification qui s’étend au moins à un groupe déterminé d’objets, à savoir aux produits de la chasse. Et cette classification a pour modèle celle de la tribu en quatre classes matrimoniales ou « groupes paedo-matronymiques » comme dit notre auteur. M. Roth ne paraît pas avoir recherché si cette division s’étendait au reste des choses naturelles.