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Essais de sociologie

L’importance de cette classification est telle qu’elle s’étend à tous les faits de la vie ; on en retrouve la marque dans tous les rites principaux. Ainsi, un sorcier qui est de la phratrie mallera ne peut se servir pour son art que des choses qui sont également mallera. Lors de l’enterrement, l’échafaudage sur lequel le corps est exposé (toujours dans l’hypothèse où il s’agit d’un Mallera) « doit être fait du bois de quelque arbre appartenant à la phratrie Mallera ». Il en est de même des branchages qui recouvrent le cadavre. S’il s’agit d’un Banbey, on devra employer l’arbre à grande feuille ; car cet arbre est banbey ; et ce seront des hommes de la même phratrie qui procéderont à l’accomplissement du rite. La même organisation d’idées sert de base aux prévisions ; c’est en la prenant comme prémisse que l’on interprète les songes, que l’on détermine les causes, que l’on définit les responsabilités. On sait que, dans toutes ces sortes de sociétés, la mort n’est jamais considérée comme un événement naturel, dû à l’action de causes purement physiques ; elle est presque toujours attribuée à l’influence magique de quelque sorcier, et la détermination du coupable fait partie intégrante des rites funéraires. Or, chez les Wakelbùra, c’est la classification des choses par phratries et par classes matrimoniales qui fournit le moyen de découvrir la classe à laquelle appartient le sujet responsable, et peut-être ce sujet lui-même. Sous l’échafaudage où repose le corps et tout autour, les guerriers aplanissent soigneusement la terre de telle façon que la plus légère marque y soit visible. Le lendemain, on examine attentivement le terrain sous le cadavre. Si un animal a passé par là, on en découvre aisément les traces ; les Noirs en infèrent la classe de la personne qui a causé la mort de leur parent. Par exemple, si l’on trouve des traces de chien sauvage, on saura que le meurtrier est un Mallera et un Banbey ; car c’est à cette phratrie et à cette classe qu’appartient cet animal.

Il y a plus. Cet ordre logique est tellement rigide, le pouvoir contraignant de ces catégories sur l’esprit de l’Australien est si puissant que, dans certains cas, on voit tout un ensemble d’actes, de signes, de choses se disposer suivant ces principes. Lorsqu’une cérémonie d’initiation doit avoir lieu, le groupe local qui prend l’initiative de convoquer les autres groupes locaux appartenant au même clan totémique, les avertit en leur envoyant « un bâton de message » qui doit appartenir à la même