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De quelques formes primitives de classification
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moniales. « Certaines classes sont seules autorisées à manger certaines espèces de nourriture. Ainsi les Banbey sont restreints à l’opossum, au kangourou, au chien, au miel de la petite abeille, etc. Aux Wongoo sont attribués l’émou, le bandicoot, le canard noir, le serpent noir, le serpent brun. Les Oboo se nourrissent de serpents tapis, du miel des abeilles piquantes, etc. Les Kargilla vivent de porcs-épics, de dindons des plaines, etc. De plus, à eux appartiennent l’eau, la pluie, le feu et le tonnerre. Il y a d’innombrables sortes de nourriture, poissons, gibiers de poil et de plume, dans la distribution desquelles M. Muirhead n’entre pas[1]. »

Il paraît y avoir, il est vrai, quelque incertitude dans les renseignements recueillis sur cette tribu. D’après ce que dit M. Howitt, on pourrait croire que c’est par phratries et non par classes matrimoniales que se fait la division. En effet, les choses attribuées aux Banbey et aux Kargilla seraient toutes mallera. Mais la divergence n’est qu’apparente et elle est même instructive. En effet, la phratrie est le genre, la classe matrimoniale est l’espèce ; or le nom du genre convient à l’espèce ce qui ne veut pas dire que l’espèce n’a pas le sien propre. De même que le chat rentre dans la classe quadrupède et peut être désigné par ce nom, les choses de l’espèce kargilla ressortissent au genre supérieur mallera (phratrie) et peuvent, par suite, être dites elles-mêmes mallera. C’est la preuve que nous n’avons plus affaire à une simple dichotomie des choses en deux genres opposés, mais, dans chacun de ces genres, à une véritable inclusion de concepts hiérarchisés.

  1. Curr, Australian Race, III, p. 27. On remarquera que chaque phratrie ou classe semble consommer la chair des animaux qui lui sont ainsi attribués. Or, nous aurons à revenir sur ce point, les animaux aussi attribués à une phratrie ou à une classe ont généralement un caractère totémique et par suite la consommation en est interdite aux groupes d’individus auxquels ils sont attribués. Peut-être, le fait contraire qui nous est rapporté des Wakelbùra constitue-t-il un cas de consommation rituelle de l’animal totémique pour le groupe totémique correspondant ? Nous ne saurions le dire. Peut-être aussi y a-t-il dans cette observation quelque erreur d’interprétation, erreur toujours facile en des matières aussi complexes et d’appréciation aussi malaisée. Il est, en effet, bien remarquable que les totems de la phratrie Mallera, d’après les tableaux qu’on nous donne, sont l’opossum, le dindon des buissons, le kangourou, la petite abeille, tous les animaux dont la consommation se trouve justement permise aux deux classes matrimoniales de cette phratrie, c’est-à-dire aux Kurgilles et aux Banbey.