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Parentés à plaisanteries
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On saisit également ici un bon nombre de faits types de brimades. En particulier notons certaines similitudes fonctionnelles avec ces confréries à « persécutions » si fréquentes en Amérique du Nord-Ouest et même dans la Prairie. Ces coutumes aboutissent à y former une sorte de profession.

Elles se rattachent donc à de très grands systèmes de faits moraux. Elles permettent même d’entrevoir une façon d’étudier certaines des mœurs les plus générales[1]. Quand on les considère avec leurs contraires, quand on compare l’étiquette avec la familiarité, le respect avec le ridicule, l’autorité avec le mépris, et que l’on voit comment ils se répartissent entre les différentes personnes et les différents groupes sociaux, on comprend mieux leur raison d’être.

Ces recherches ont encore un intérêt linguistique évident. La dignité et la grossièreté du langage sont des éléments importants de ces usages. Ce sont non seulement des sujets interdits que l’on traite, mais des mots interdits dont on se sert. Les langages d’étiquettes et de classes (classes d’âge et de naissance) se comprennent mieux quand on étudie pourquoi et vis-à-vis de qui on les viole systématiquement.

Enfin, ces travaux éclaireraient, si on les poussait davantage, la nature et la fonction d’éléments esthétiques importants, mêlés naturellement, comme partout, aux éléments moraux de la vie sociale. Les obscénités, les chants satiriques, les insultes envers les hommes, les représentations ridicules de certains êtres sacrés sont d’ailleurs à l’origine de la comédie ; tout comme les respects témoignés aux hommes, aux dieux et aux héros nourrissent le lyrique, l’épique, le tragique.


  1. M. A. R. Brown à qui j’ai montré une première rédaction de ce travail m’a indiqué à ce sujet un certain nombre d’idées et de faits extrêmement importants qu’il se réserve de publier.