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Essais de sociologie

Admettons encore l’autre interprétation de M. Brown : l’oncle utérin étant le représentant mâle du principe féminin, du sang de la mère, « mère mâle » disent si énergiquement les Ba-Thonga ; « mâle mère » serait aussi exact comme traduction et expliquerait pourquoi il est d’ordinaire rangé au-dessous et non au-dessus du neveu. Voilà bien des raisons qui suffisent chacune à part, mais qui ont presque partout fonctionné plus ou moins simultanément, et on comprend, par exemple, que le tabou de la mère ait été compensé par une sorte de profanation systématique du frère de celle-ci.

En tout cas, il est clair que les parentés à plaisanteries correspondent à des droits réciproques et que, généralement, quand ces droits sont inégaux, c’est à une inégalité religieuse qu’ils correspondent.


De plus nous sommes bien ici sur la frontière des faits connus sous le nom de potlatch. On sait que ceux-ci se signalent par leur caractère agonistique, par des rivalités de générosité des combats, ceux de force, de grandeur, des défis à l’occasion d’injures, en même temps que par des hospitalités. Mais, on voit dans ces institutions de parentés d’étiquette et de parentés à plaisanteries, institutions plus primitives, dans ces échanges d’obligations et ces échanges de plaisanteries, très visibles dans le « poroporo » des îles Banks, la racine de ces rivalités obligatoires. D’ailleurs, le « poroporo » existe à côté du potlatch en Mélanésie, comme une matrice dont le nouveau-né ne s’est pas encore détaché. De plus, les potlatch sont attachés, au moins en Mélanésie et au Nord-Ouest américain, aux divers degrés de parenté, aux diverses alliances et parrainages. C’est donc eux qui, au moins dans ces cas, doivent entrer dans la catégorie générale des coutumes d’étiquettes et de brimades entre gens des mêmes générations des clans et des clans alliés et par conséquent, entre gens des générations alternées représentant d’autres générations d’ancêtres. On perçoit ici le pont de passage qui unit les institutions du potlatch infiniment développées et les institutions plus frustes, plus simples, où des tabous et des étiquettes s’opposent à des insultes et à l’irrespect. Voilà une première conclusion d’histoire logique.