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Essais de sociologie

sœur (thème du conte de Barbe-Bleue). Des usages, encore vivaces chez nous, entre Valentins et Valentines, ceux qui règnent encore pendant la période des noces entre garçons et demoiselles d’honneur donnent assez bien l’idée de ces mœurs qui règlent des relations de contrat collectif entre des groupes de beaux-frères possibles : opposition et solidarité mélangées et alternées, normales surtout en pays de parenté classificatoire. M. Hocart a déjà remarqué ces institutions chez les Ba-Thonga et ce caractère des beaux-frères, « dieux » les uns pour les autres. Cette expression « dieu » marquant d’ailleurs non pas simplement un caractère religieux, mais un caractère moral qui appartient aussi aux dieux : la supériorité de droits : par exemple, le droit sur les biens des cousins bengam en Nouvelle-Calédonie ou du neveu utérin à Fiji, en Nouvelle-Calédonie ou chez les BaThonga, sur ceux de son oncle.

Rivers et M. Hocart ont déjà rapproché les parentés « poroporo » et le système d’abus qu’elles entraînent des institutions fijiennes bien connues et même classiques du « vasu » fijien, du pillage régulier de l’oncle utérin par son neveu, en particulier dans les familles nobles et royales où le « vasu » sert pour ainsi dire de collecteur de tribut. De cette institution et de la parenté « tauvu » M. Hocart a même proposé une explication qui n’a pas eu le succès qu’elle méritait. Il part de l’observation de M. Junod concernant le neveu utérin chief. Il montre que le neveu utérin est bien à Fiji un « vu », un dieu pour son oncle et s’en tient là.

Il nous sera permis d’ajouter une hypothèse à cette notation. Il faut considérer non seulement la position juridique, mais la position mythique qu’a chaque individu dans le clan. Or, il y a une raison de ce genre à ce que le neveu soit ainsi supérieur à son oncle. Dans toutes ces sociétés, comme au Nord-Ouest américain, on croit à la réincarnation[1] des ancêtres dans un ordre déterminé ; dans ce système, le neveu utérin (que la descendance soit comptée en descendance masculine ou en des-

  1. Nous sommes revenu à très fréquentes reprises, dans nos travaux cités plus haut, sur cette question des réincarnations : c’est entre gens qualifiés que les prestations s’opèrent ; ceux-ci agissent souvent en qualité de représentants vivants des ancêtres ; ces derniers étant figurés dans des danses, manifestés par des possessions, notifiés par des noms, des titres et des prénoms.