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Parentés à plaisanteries
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Les étiquettes et interdits qui protègent certains parents commencent à être suffisamment étudiés, sinon suffisamment compris. La plupart ont des motifs multiples. Par exemple la belle-mère est évidemment, à la fois : la femme de la génération interdite dans la phratrie permise ou dans le clan allié et permis : elle est aussi la personne qui, dans le cas d’une descendance masculine plus ou moins reconnue, est la sœur de votre père et avec le sang de laquelle on a par sa femme des rapports directs ; elle est la « vieille » personne avec laquelle on communique indûment par sa fille et dont la vue pourrait faire « vieillir le gendre » ; elle est la créancière implacable du « champ sexuel » que cultive le mâle ; la propriétaire du sang des enfants qui naîtront du mariage ; elle symbolise les dangers du principe féminin, ceux du sang étranger de la femme dont elle est créatrice, et l’on reporte sur elle les précautions qu’on ne prend, vis-à-vis de sa femme, qu’au moment du mariage, des menstrues ou de la guerre, ou des grandes périodes expiatoires. Elle est l’objet constant d’un nombre de sentiments concentrés et tenant tous, on le voit, à sa position définie à l’égard du gendre[1].

De même on peut classer les parentés à plaisanteries, mais une par une et dans chaque société. On pourrait même s’étonner qu’elles se laissent si bien grouper en genres et que de pareilles similitudes d’institutions se retrouvent à de pareilles distances, commandées par des structures semblables. La plupart de ces parentés sont celles d’alliés, pour prendre les expressions vulgaires ; car nous aimerions mieux dire alliés tout court et ne pas parler de parenté dans ces cas. Dans les tribus de la Prairie américaine comme dans celles de la Mélanésie, c’est avant tout entre gens de même âge, groupes de beaux-frères et de belles-sœurs, époux possibles, que s’échangent des familiarités correspondantes à la possibilité de relations sexuelles ; ces licences sont d’autant plus naturelles que les tabous qui protègent les femmes du clan, les mères et les sœurs et les filles de celles-ci en descendance utérine sont plus graves ; dans le cas des beaux-frères plus spécialement, les obligations se compliquent des prestations militaires et de celles qui résultent des échanges de sœurs et des droits que garde le beau-frère de protéger sa

  1. Nous résumons ici une étude du tabou de la belle-mère, en Australie et en Afrique bantou, étude que nous nous réservons de développer ailleurs.