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Parentés à plaisanteries
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de race pourtant ; chez les Creek, chez les Assiniboine. Nul doute que ce « trait » de « civilisation » ne soit très caractéristique de cette région.

C’est encore dans une tribu siou, les Winnebago, que M. Radin l’a rencontré le plus développé et l’a le mieux étudié[1]. En principe, un homme est extrêmement réservé et poli avec tout le monde de sa propre parenté et de son alliance. Au contraire, il ne cesse de se moquer des parents et alliés suivants : enfants de sœurs de pères, de frères de mères (autrement dit cousins croisés, maris et femmes possibles), les frères de mères, les belles-sœurs et beaux-frères[2]. « Il le fait » [il plaisante] « chaque fois qu’il en a l’occasion, sans que l’autre puisse en prendre offense. » En général et pratiquement, ces plaisanteries ne durent guère que le temps d’entrer en matière ; elles sont réciproques. Et M. Radin remarque finement qu’une de leurs raisons d’être peut avoir été « qu’elles procuraient une détente à cette constante étiquette qui empêchait les rapports aisés et sans gêne avec tous les parents proches ». Le respect religieux est en effet compensé par l’insolence laïque entre gens de même génération unis par des liens quasi matrimoniaux. Reste l’oncle utérin dont la position singulière est mieux marquée en pays mélanésien.


Les observateurs américains ont été très frappés de la singularité de ces usages. Ils ont un vaste champ à labourer et n’en sortent guère. Ils ont un peu exagéré l’originalité et renoncé presque à donner une explication de ces faits. M. Radin se borne à remarquer que toutes ces parentés sont ou en ligne utérine chez les Winnebago, ou entre personnes ayant des droits matrimoniaux réciproques les unes sur les autres. M. Lowie, lui, a du moins fait le travail de comparaison. Sous le titre, également juste, de « familiarité privilégiée », il les rapproche des faits

  1. Le nom même de la coutume est emprunté à la langue Winnebago. « Si on se permet une liberté à l’égard de quelqu’un qui n’appartient pas à une des catégories précédentes, cette personne demande : « quelle parenté à plaisanteries ai-je avec vous ? »
  2. M. Radin est un peu embarrassé par sa notion du clan de la mère. Mais quand la parenté est comptée par groupes, quand elle est classificatoire, que ce soit en descendance utérine ou en descendance masculine, le mariage entre cousins croisés est toujours permis, sauf exception explicable.