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Essais de sociologie

nombreux même que les clans qu’ils sectionnent, les diverses structures sociales en un mot peuvent s’imbriquer, s’entrecroiser, se souder, devenir cohérentes.

C’est ici que se pose — par opposition au problème de la communauté et à l’intérieur de celui-ci — le problème de la réciprocité ou inversement celui de la communauté obligeant à la réciprocité. Vous avez un exemple dans la vie de famille actuelle sans même avoir besoin de remonter aux familles du type des groupes politico-domestiques ; vous y vivez les uns avec les autres dans un état à la fois communautaire et individualiste de réciprocités diverses, de mutuels bons services rendus : certains sans esprit de récompense, d’autres à récompense obligatoire, les autres enfin à sens rigoureusement unique, car vous devez faire à votre fils ce que vous auriez désiré que votre père vous fît.

La réciprocité peut être directe ou indirecte. Il y a la réciprocité directe à l’intérieur de chaque classe d’âge ; dans les rangs, au bivouac, nous sommes tous dans un état d’échanges réciproques ; c’est du communautarisme ; dans un certain nombre de sociétés (Australie centrale, Amérique du Nord, Est et Ouest) il est bien entendu que par exemple, tous les beaux-frères de deux clans ont droit ou n’ont pas droit dans certains cas, non seulement aux sœurs, mais aussi à l’hospitalité, aux aliments, à l’aide militaire et juridique les uns des autres. La discipline d’âge et celle de la simple réciprocité se cumulent dans d’autres cas où la parenté est non seulement en nom mais encore en fait rigoureusement réciproque, même entre deux générations différentes. Par exemple, là où grand-père et petit-fils s’appellent l’un l’autre d’un seul nom, le grand-père peut faire au petit-fils les mêmes prestations que celui-ci lui rend, et en même temps le père peut être pour la même raison — identité du petit-fils et du grand-père — tenu au respect des deux (Nord-Ouest américain, Nord Calédonie, Ashanti, etc.). Vous voyez que l’amorphisme et le polymorphisme ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et que la réciprocité vient s’y joindre. Dans nombre de cas, c’est l’arrière-arrière-grand-père qui est identique à son arrière-arrière-petit-fils (Ashanti, etc.) ; souvent, le fils est nettement supérieur à son père. Voilà ce que c’est que la parenté réciproque et les droits réciproques, et les prestations réciproques directes.

D’autres réciprocités sont indirectes et nous en avons encore chez nous. Il faut s’y soumettre un nombre considérable de fois ;