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Fragment d’un plan de sociologie descriptive
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dans une étude juridique de la société des hommes, et dans une étude religieuse de la même société. L’instruction de ce genre n’est terminée qu’avec l’obtention des grades les plus hauts de la société des hommes et des sociétés secrètes, des sociétés de magiciens, etc.

À chaque coup on peut et doit étudier les méthodes par lesquelles toutes ces choses sont enseignées. C’est à partir de là qu’on pourra tirer des observations générales sur l’éducation et l’instruction. En général, la transmission se fait plutôt par la voie orale et manuelle que par la logique. Il faudra observer l’autorité des instructeurs, les âges, les réceptivités, les talents des « disciples ». Le mot pour désigner cet état se trouve dans les langues polynésiennes comme dans les langues des Algonquins. Cette autorité se marque aussi par le caractère secret des arts, des beaux-arts et des connaissances.

En face de l’éducation des hommes, celle des femmes semble infiniment moins forte chez les indigènes de nos colonies. Séparées de leur famille très tôt, passant brusquement d’un milieu enfantin à un milieu purement domestique, écartées des milieux sociaux actifs, absorbées par un mariage qui les prend tout entières et par une vie sexuelle très précoce, commençant entre dix et quinze ans ; liées, jusqu’à ce mariage, à la vie presque entièrement matérielle de la mère et des vieilles femmes, servantes pour la vie de leurs ménages, elles ne sont « cultivées » que dans les sociétés qui leur ont fait leur place ou dans les classes qui les respectent. On trouve de ces cas dans l’Afrique occidentale, la Polynésie, chez les Iroquois, et en particulier dans les populations qu’on peut appeler justement matriarcales (Micronésie et quelques autres régions pas très nombreuses). Mais sur les sociétés des femmes et sur l’éducation qu’elles distribuent à leurs membres, nous avons encore tout à découvrir[1].

Tels sont les principaux phénomènes qui rendent possibles la continuité, la solidité, l’organisation interne et consciente d’une société. Ce sont eux que dénotent les notions collectives : d’ordre, de paix, de salut, de liberté. Toutes notions qu’on trouve clairement exprimées dans tous les pays d’Océanie, d’Amérique du Nord et centrale, et dans toute l’Afrique noire. Dans des sociétés

  1. Miss Mead a donné une bonne description de l’éducation en général dans une tribu papoue.