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Fragment d’un plan de sociologie descriptive
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de l’espace et du territoire social (notion du Raum de Ratzel). Ces frontières, ces espaces renferment d’ordinaire un nombre déterminé de gens portant un même nom.

b) Ceci nous mène à la forme psychologique, à la représentation collective correspondant à cette répartition des individus à un moment et en un lieu donnés, à la notion de totalité. Cette notion s’exprime d’abord par ce nom dont nous venons de parler, que la société se donne (et non pas celui qu’on lui donne — généralement inexact —) et par la sensation très aiguë de la communauté qu’elle forme. La notion de descendance commune en forme le mythe.

Mais en plus, cette sensation se reconnaît généralement à un état plus précis : à la paix qui est censée régner entre ses membres, par opposition à l’état de guerre latent avec l’étranger. Cette paix est consciente, elle est nommée souvent. Nous ne pouvons trop signaler la force de cette idée. Elle se mesure assez bien dans les sociétés archaïques de nos colonies, par la plus ou moins grande importance de ce qu’on appelle assez mal les guerres privées — qui ne sont que l’exercice domestique du droit civil et du droit criminel. Notion de paix et notion de loi sont particulièrement claires dans le monde de Guinée ; en Polynésie également.

Cette idée très claire, cet état intérieur bien visibles ont des degrés, et à ces degrés correspondent de grandes classes de faits.

En particulier, par exemple, on peut presque mesurer l’attachement au sol. Celui-ci est très inégal. Certaines grandes migrations sont possibles, par exemple pour des raisons d’ordre mystique, comme celles que M. Métraux a étudiées chez les Tupi. Nous avons l’histoire des tribus soudanaises qui sont allées à la recherche d’un monde meilleur jusqu’au Nil. Les peuples pasteurs, d’un bout à l’autre de leur histoire, ont dû quitter leur territoire en cas de sécheresse. On voit de curieuses variations de sédentarité à l’intérieur d’une même aire de civilisation : entre zone des savanes et zones des cultures au Congo belge, même dans des tribus qui sont également agricoles.

Cet attachement au sol se manifeste d’ailleurs par un fait extraordinairement important qui rejoint la psychologie individuelle mais qui ne peut pas être séparé de l’attachement à la communauté dont l’individu fait partie : nous voulons parler de ce que l’on appelle « mal du pays », le Heimweh, qui va