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l’avenir de l’intelligence

sa vigueur. Ce sentiment n’eût servi de rien sans les deux fortes Maisons qui l’utilisèrent, l’une avec Metternich, et l’autre avec Bismarck.

Nous ne manquions pas de patriotisme. Il nous manquait un État bien constitué. Un véritable État français aurait su faire la police de sa Presse et lui imprimer une direction convenable ; mais, en sa qualité d’État plébiscitaire, l’Empire dépendait d’elle à quelque degré. Il ne pouvait ni la surveiller ni la tempérer véritablement. Elle était devenue force industrielle, machine à gagner de l’argent et à en dévorer, mécanisme sans moralité, sans patrie et sans cœur. Les hommes engagés dans un tel mécanisme sont des salariés, c’est-à-dire des serfs, ou des financiers, c’est-à-dire des cosmopolites. Mais les serfs sont toujours suffisamment habiles pour se tromper ou se rassurer en conscience quand l’intérêt leur a parlé ; les financiers n’ont pas à discuter sur des scrupules qu’ils n’ont plus. Ce n’est pas moi, c’est M. Bergeret qui en a fait la remarque : « les traitants de jadis » différaient en un point de ceux d’aujourd’hui ; « ces effrontés pillards dépouillaient leur patrie et leur prince sans du moins être d’intelligence avec les ennemis du royaume » ; « au contraire », leurs successeurs vendent la France à « une puissance étrangère » : « car il est vrai que la Finance est aujourd’hui une puissance et qu’on peut dire d’elle ce qu’on disait autrefois de l’Église, qu’elle est parmi les nations une illustre étrangère[1] ».

  1. Le Mannequin d’osier, par Anatole France, p. 240. — Anno 1897. — (Paris, Calmann-Lévy).